Chapitre 1 : une bien
belle une riante une
région. Barbebouq. Les Capucines. :
La Beauce était peut-être le
département le plus laid et le plus triste de France. Par quelque
transfert mystérieux, des générations de seigneurs consanguins, de
paysans amorphes et abrutis par le travail, d'exploitants cupides et
sournois, de taciturnes tenanciers, de femmes au foyer dépressives
et d'artistes maudits dénués de talents1
avaient laissé leur empreinte dans le paysage. Sur plusieurs
centaines de générations, une sorte de conscience collective avait
émergée, rependant aux alentours son influence incoercible. Bien
plus qu'une ambiance, c'était un avertissement lancé par la Beauce
au reste de la France. Difficile de traduire en langage clair
l'essence de ce message. Disons qu'il faisait ressentir à tout être
un sentiment qu'on pourrait nommer, à défaut d'un meilleur terme,
de la désespérance molle. Le paysage lui-même traduisait l'ennui à
l'état pur. Des champs, grandes étendues jaunâtres sans relief,
s'étendaient à perte de vue. Quelques groupes d'arbres rachitiques,
épines malsaines plantées dans le paysage, attendaient qu'un
bûcheron compatissant vienne les achever et les seuls oiseaux qu'on
pouvait y rencontrer ne chantaient jamais ou pire, chantaient faux.
Tranchant le paysage, une route
passait. Une nationale large et rectiligne, sans doute à l'usage des
gens qui voulaient traverser les lieux le plus vite possible.
Au milieu de la route, une petite
fille blonde à couettes marchait.
...
En plein cœur de la Beauce, un peu à
l'écart de la nationale, un événement nouveau se passait à
Barbebouq, et la chose était tellement rare qu'elle mérite d'être
notée.
Barbebouq, c'était ce qui se
rapprochait le plus par ici d'un village : une vingtaine de maisons
branlantes serrées les unes contre les autres, dont une boulangerie
qui faisait aussi office d'épicerie, de poste, de mairie et surtout
de PMU ; accolé à cette dernière, un musée était dédié à un
seul et unique thème : le pain sous toutes ses formes
; et enfin, au centre du tout, une modeste église accompagnée,
comme de juste, de son curé, son cimetière, son fossoyeur et ses
fidèles.
Tout le monde ici connaissait tout le
monde, pour deux raisons essentielles : tout d'abord, le nombre
d'habitants était si réduit qu'il fallait avoir une mémoire
terriblement défaillante pour ne pas reconnaître, au moins de vue,
son prochain. Ensuite il fallait être réellement désespéré pour
visiter ou pire, s'installer à Barbebouq. Cela faisait donc plus de
dix ans qu'on avait pas vu s'arrêter un étranger.
On pouvait légitimement se demander
l'intérêt de faire commencer l'histoire en ces lieux ou rien,
jamais, ne se passait.
Sauf que ce jour-là, et c'était en
soi un événement, une voiture surgit en trombe dans la rue
principale, freina brusquement tout en effectuant un demi-tour
complet dans un nuage de poussière, et s'immobilisa enfin en faisant
crisser désagréablement ses pneus. La conductrice, une sorte de
kamikaze du volant qui s'appelait Catelyn, observa le décor depuis
l'habitacle de la voiture, coupa le contact, puis poussa un soupir et
la porte de son véhicule.
Le calme habituel retomba sur le
village.
Aucune des maisons ne semblaient
abriter le moindre signe de vie humaine, et les champs qui cernaient
le village paraissaient vides eux aussi. A part le bruit des bottes
de l'intruse, aucun son ni semblant de vie ne semblait vouloir
peupler l'endroit. Quelque part au loin, un grillon stridula pour
faire bonne mesure.
La femme s'assit sur un plot en pierre
qui semblait n'attendre qu'elle, fit jouer les articulations de son
cou en esquissant une légère grimace, et sortit d'une poche de son
jean un téléphone mobile, en ces lieux inutile, auquel elle jeta un
regard résigné.
Étant donné la relative immobilité
de la femme, l'instant paraît idéal pour opérer une description de
celle-ci. De bas en haut voici ce qu'on voyait : Des bottes, d'abord.
Pas des bottes à talons aiguilles et couleurs savamment choisies,
non. Des bottes toutes simples en vieux cuir marron, pesantes, plus
utiles dans les bonnes bagarres de bar avec coups de pieds dans les
testicules que dans les défilés de mode. Ensuite un jean, un peu
moulant mais pas trop, mettant en valeur juste ce qu'il fallait de
formes pas désagréables à regarder. Plus haut encore, un t-shirt
ajusté, blanc, quelque peu déformé par une petite poitrine, et
dessus un imprimé en forme de taches de sang très désagréablement
ressemblantes. Par-dessus ce t-shirt, la femme portait un manteau de
cuir marron, un peu usé. Plus haut enfin, un visage aux traits doux,
des lèvres fines, un petit nez menu et retroussé et des yeux verts
perçants - rehaussés par un trait noir de khôl - couronnés par
une chevelure bouclée d'un roux flamboyant, coupée court et au
carré. Le tout constituait un mélange détonnant de brutalité et
de féminité, ce qui n'ôtait rien, bien au contraire, au charme de
Catelyn, ses nombreux amants pouvaient d'ailleurs en témoigner2.
La jeune femme leva la tête vers le ciel rempli de nuages, puis
fouilla dans le grand sac à main qu'elle portait en bandoulière,
apparemment en vain.
Et merde : il allait bientôt pleuvoir
et elle n'avait pas de parapluie.
...
On ne pouvait pas tomber sur Barbebouq
par hasard. Il fallait réellement vouloir y aller pour trouver le
village. Et même alors, on pouvait encore ne pas trouver Barbebouq.
C'était ce que se disait la petite
fille, alors qu'elle marchait à travers champs et que la nuit allait
bientôt faire son apparition. La lueur pâle du soleil couchant
donnait à la nature des teintes oranges qui devaient sans doute être
magnifiques, mais la petite fille n'y prêtait aucune attention, trop
occupée qu'elle était à tenter de retrouver son chemin : ce
stupide village ne devait pas être loin, mais toute sa bonne volonté
n'y faisait rien. Elle en était à espérer rencontrer une bonne
âme, ce qui, quand on la connaissait, prouvait qu'elle avait épuisé
toutes les autres alternatives.
Elle était mignonne, la blondinette,
avec son pantalon noir et sa veste de même, par dessus une chemise
blanche au col en dentelle. Sa chevelure soyeuse était ramenée en
deux couettes, et ses grands yeux bleus lui donnaient un regard
d'ange. Véritablement, la petite Lili, car c'est ainsi qu'on
l'appelait, était mignonne, et paraissait bien inoffensive.
L'autre, par contre, le paraissait
moins.
Une salopette bleue, des cheveux en
bataille, le regard aviné et une énorme bedaine faisaient partie
des principales particularités de l'homme qui venait de surgir
devant la petite fille. Mais aucun de ces traits ne constituaient la
première chose qu'elle vit de l'homme. La première chose que son
regard croisa, ce fut la fourche qu'il pointait sur elle.
- Qu'esse tu fout là! Dis moi qu'esse
tu fout là ou j't'embroche!
Le langage recherché de l'homme était
au diapason de l'haleine fétide qu'il exhalait. Son regard fit (mais
difficilement) le point sur celle qui lui faisait face, et un sourire
édenté fendit alors son visage, qui était pourtant déjà bien
assez terrifiant comme ça.
- Mais, t'es qu'une tite gosse ! –
conclut-il finement. Il jeta un regard à la ronde, et poursuivit
avec un ton cruel dans la voix – une tite fille toute seule à
c'que j'voit... Viens voir tonton Tim, petiote. Tu va voir, on va
bien s'amuser. Allez, viens...
Un peu de bave coulait le long de son
menton alors qu'il zieutait la petite d'un air d'aliéné. Ce qui ne
parut par effrayer celle-ci plus que ça, puisqu'elle s'approcha
doucement de l'homme, qui ponctuait chacun de ses pas d'un « bien,
bien » du plus mauvais augure.
Puis la fillette s'élança.
Il suffit d'un battement de cils :
elle fut juste à côté de lui, la fourche qu'il tenait fermement
une seconde plus tôt dans ses petites mains enfantines. Encore
hébété3,
l'homme reçut un coup de pied dans le thorax qui l'envoya au sol,
plusieurs mètres plus loin. Un autre battement de cils : la blonde
était maintenant debout sur son torse, et dardait sur lui 1/ sa
fourche, et 2/ un regard homicide.
...
Quand
Catelyn était entré dans la boulangerie-épicerie-poste-mairie-PMU,
un seul coup d’œil avait suffit pour qu'elle sache à quoi
s'attendre4.
Une série de néons défaillants plongeaient dans l'ombre plus
qu'ils n'éclairaient des lieux en état de délabrement avancé. Le
patron, grand ,gros, et gras, lui jeta un regard peu amène et poussa
un grognement. Catelyn désigna du doigt une bouteille derrière le
bonhomme, couverte d'une crasse dont il ne valait mieux pas connaître
l'origine. Elle plongea sont regard dans la substance vaguement
ambrée que lui versa le tenancier avant d'en boire la totalité,
cul-sec.
Bon,
qu'est-ce qu'elle foutait, l'autre? La principale qualité de Catelyn
n'étant certes pas la patience, il lui fallait trouver une
occupation en attendant.
« Toi, t'es
une étrangère! »
Quelqu'un
venait de lui poser une main poisseuse sur l'épaule. La jeune femme
se retourna lentement, un grondement sourd au fond de la gorge. Le
spectacle n'était pas très beau à voir : un visage mou et triste,
ravagé par le temps et l'alcool, un corps long, maigre, courbé et
deux bras comme des enclumes composaient l'homme.
« J'aime
pas les étrangères, moi – cracha-t-il. Il fit une pause qui se
voulait sans doute dramatique, puis repris – Et mes potes non plus,
ils aiment pas les étrangères. »
Des
grognements d'acquiescement se firent entendre dans toute la salle,
tandis que des chaises raclaient le sol.
-Vous, vous
tombez bien! – gronda-t-elle. »
D'un regard,
La femme fit le tour de ses adversaires – ils était douze – puis
se tourna vers le barman.
Visiblement
habitué de la chose, il avait sorti une batte de sous le comptoir.
Catelyn la lui retira des mains d'un mouvement rapide. Il lui jeta le
regard apeuré d'un hérisson face aux phares d'une voiture, puis
plongea derrière son comptoir.
Elle soupesa
son arme un instant, puis sourit à l'assemblée.
« Alors,
qui commence? »
...
Le service de bus reliant le lycée
des Capucines au reste de la région n'était pas des plus
performants (pour la bonne raison qu'il n'y avait pas de service de
bus desservant le lycée des Capucines), aussi Alice (yeux bleus,
cheveux noirs corbeau, 16 ans, plutôt grande pour son âge et toutes
ses dents) avait pris l'habitude de rentrer chez son oncle par ses
propres moyens, c'est à dire avec les pieds de ses jambes. On ne
peut pas dire que le défilé du paysage déjà décrit plus haut
inspirait la poésie, tout juste incitait-il à la méditation
intérieure (ou plus sûrement à des pensées morbides). Et en
effet, Alice méditait. Elle méditait sur la vie, la mort, le destin
et toutes ces choses, et surtout sur l'étrange malédiction qui
l'avait fait naître à l'endroit le plus déprimant et dénué
d'intérêt de France. Elle réfléchissait aussi au moyen le plus
sûr et surtout le plus rapide de décamper.
Toute à ses pensées, Alice ne
remarqua la camionnette l'ayant dépassée qu'au moment où elle
s'arrêta, à quelques mètres d'elle, les phares allumés pointés
vers le vide. Personne n'en sortit. Seul bruit aux alentours, le
moteur de la voiture à l'arrêt continuait de tourner. Une crainte
sourde, un sentiment de malaise fit s'arrêter Alice. Pourquoi la
camionnette s'était-elle arrêtée là, juste devant elle? Et
surtout, pourquoi son occupant n'en sortait pas? Elle tenta vainement
de se rassurer : peut-être consultait-il une carte, peut-être se
payait-il une pause? Peut-être, oui...
La pluie commença à tomber,
doucement. Deux trois gouttes d'abord. Une ou deux minutes plus tard,
elle s'intensifia un peu.
Et puis, si ça se trouvait, il n'y
avait à l'intérieur de la camionnette qu'un vieil impotent,
incapable de sortir de son véhicule sans l'aide d'une canne. Un
vieux, oui. Petit. Gentil. Inoffensif.
Une silhouette s'extirpa enfin de la
voiture, lentement. Il commençait à faire sombre, et Alice ne
voyait devant elle qu'une ombre, très grande, très massive aussi,
et le soleil couchant juste derrière. Si c'était là le petit
vieux qu'elle s'imaginait, il devait être nourri aux anabolisants.
La silhouette se déplia
interminablement, contre toute logique apparente, plus haute qu'il ne
paraissait possible. Alice ne distinguait pas grand-chose de l'être
qui lui faisait face mais, par quelque sens caché, quelque instinct
de survie, elle fut saisie d'une peur soudaine autant
qu'irrépressible. Un sentiment qui lui faisait se rappeler que,
tient, elle avait oublié, mais elle avait un rendez-vous urgent
loin, très loin. Le peu qu'elle voyait de la créature avait quelque
chose de répugnant : deux yeux sans pupilles, comme morts, était
plantés sur un visage d'une pâleur cadavér... D'une pâleur
inquiétante.
Alice fit un pas en arrière,
lentement. Un autre. Elle prit conscience d'un bruit de moteur
pétaradant, celui d'un véhicule qui se rapprochait. Une autre bonne
surprise? Elle se retourna.
Derrière elle, un homme brun, à la
barbe et aux cheveux mal entretenus, de quarante ans, peut-être
plus, campé sur une mobylette hors d'âge, dérapa sur la route
humide pour s'arrêter à moins d'un mètre d'elle. La pluie ne
semblait pas le déranger plus que ça, malgré la mèche mouillée
qui lui tombait sur le front. Il braqua vers le monstre un vieux
fusil, juste à côté de l'oreille d'Alice. Son doigt se crispa sur
la détente.
Le bruit de la détonation assourdit
Alice quelques instants. Elle vit le corps de la chose tressauter et
tomber à terre, le ventre déchiqueté par la balle.
On lui tapota l'épaule. C'était le
barbu, descendu de son engin pour lui proférer une suite de sons
sans aucun sens. Elle agita la tête en signe d'incompréhension,
avec un petit sourire niais et désolé. L'homme poussa un soupir,
puis finit par la tirer par le bras.
Encore abasourdie, elle se laissa
mener jusqu'à la vieille mobylette, au phare encore allumé.
Lorsqu'elle s'installa derrière
l'inconnu, le son revint brusquement : le vrombissement du moteur
pétaradant, le bruit de la pluie qui tombait maintenant en grosses
gouttes, le souffle de sa respiration saccadée.
La mobylette roulait depuis quelques
minutes déjà quand Alice prit conscience de ce qui s'était passé.
Elle se pencha en avant et dit, d'une voix blanche :
- Vous l'avez tué.
La voix de l'inconnu lui parvint de
devant :
- Mieux vaut lui que moi, ou toi. Et
il n'est pas mort de toute façon, j'ai mal visé. Je n'ai touché
aucun organe vital.
- Vous lui avez détruit l'estomac,
les intestins et la moitié de la colonne vertébrale.
- C'est ça : aucun organe vital.
Quelques secondes passèrent dans le
silence le plus total. La pluie tombait en rangs serrés maintenant.
Alice était trempée, sans y prêter plus attention que ça.
- Qu'est-ce que vous appelez un organe
vital?
- Pour cette chose? Le cœur, et
encore ça dépend ; la tête, plus sûrement.
Alice frissonna, certainement pas à
cause de la pluie.
- C'était quoi?
- Un monstre. Une horreur. Une
aberration de la nature.
Un éclair zébra la nuit, suivi
quelques secondes après d'un grondement sourd : ça posait son
ambiance. L'homme rajouta :
- Un vampire, si tu préfères.
- Ah. Heureusement qu'on l'a semé,
alors.
- C'est ça, heureusement. Au fait, si
tu regardes bien tu distingueras la lueur de deux phares, juste
derrière nous. A ton avis, qu'est-ce que c'est?
En effet, Alice pouvait remarquer au
gré des virages et à travers le rideau de pluie deux lumières
parallèles qui suivaient leur parcours.
- Il nous poursuit! - s'écria-t-elle
à l'oreille du chauffeur.
- Applaudissons notre gagnante!
...
Quand une petite fille aux couettes
blondes et au regard bleu azur entra au Colosse qui Pisse, personne
ne réagit. A un bout de la salle, rassemblés autour d'une table
pour quatre, une dizaine d'hommes maintenait les yeux baissés sur
leur boisson (il ne s'agit pas ici d'une faute d'accord : il n'y
avait à cette table qu'une seule et unique boisson) dans un silence
tendu. La petite fille posa un regard étonné sur leurs visages
tuméfiés. Au comptoir, le barman essuyait avec empressement un
verre, en jetant de temps à autre un regard inquiet vers une table à
laquelle était confortablement installée une rousse au regard vert,
qui souriait innocemment en regardant de temps à autre en direction
du groupe d'hommes.
Le visage de la petite fille s'éclaira
et elle s'approcha de la rousse.
- Bah alors, t'étais où? -demanda
Catelyn, l'air vaguement renfrogné.
- Perdue – s'excusa Lili. Un sourire
rêveur aux lèvres, elle ajouta – et j'ai eu un léger
contretemps. Toi aussi à ce que je vois.
- Tu ne vas pas me croire, mais pour
une fois je n'y suis pour rien.
- C'est ce que tu dis à chaque
fois...
Catelyn se leva et rejoignit sa
consœur à l'entrée du bar, non sans avoir jeté un long regard à
la salle et ses occupants.
- On y va – dit-elle finalement.
Ça avait dû être volontaire.
Forcément. On n'avait pas pu bâtir une maison aussi effrayante par
hasard. L'architecte avait dû regarder attentivement deux ou trois
vieux films d'horreur gothiques expressionnistes et mixer tout ça
pour obtenir ce résultat :
Une maison toute en hauteur, aux
formes tarabiscotées, un assemblage de roches sombres et de
fenêtres crasseuses dont les ouvriers, en la construisant, avaient
sans doute fait avec les moyens du bord, c'est à dire sans angles
droits. Le toit était constitué de tuiles d'ardoise bleu sombre
dont plusieurs étaient tombées. Une mousse d'un vert maladif ainsi
qu'un lierre grimpant donnaient une touche de nature à la bâtisse.
Vu la tête du lierre et de la mousse, ce devait être une nature
brutale, meurtrière et hostile au genre humain. Enfin, une cheminée
montée de travers expulsait une fumée noire du plus mauvais augure.
- Et ben, c'est gai - fit Lili, qui
contemplait la façade aux côtés de Catelyn.
Catelyn sonna, déclenchant un
carillon qui s'arrêta brusquement dans un couac angoissant.
- Festif, je dirais – ajouta la
rousse.
La porte s'ouvrit sur un vieillard
parcheminé, courbé en avant, revêtu d'un manteau grisâtre, et qui
sentait le vieux chien mouillé.
- Catelyn, je présume ?
Celle-ci hocha la tête, puis soupira
:
- Vous savez, vous êtes tout à fait
raccord avec l'ambiance de votre maison.
- Je sais – fit-il en souriant –
Entrez, je vous en prie.
A la plus grande surprise de Catelyn
et de Lili, l'intérieur de la maison n'incitait guère à hurler
d'horreur, à moins d’être allergique aux poils de chien qui
colonisaient en vainqueurs toute surface existante. Le vieil homme
les invita à s'asseoir devant le feu de cheminée. Quelques minutes
passèrent, où chacun laissa son regard se perdre dans les méandres
du feu, puis Lili déclara, avec un art consommé pour mettre les
pieds dans le plat :
- Alors comme ça, il y a du vampire
dans le coin ?
Installée devant la cheminée,
Catelyn plongeait ses yeux avec suspicion dans une boisson que le
vieil homme venait de lui servir. Elle essayait de tenir le verre
aussi éloigné d'elle que possible en espérant qu'il n'allait pas
lui demander de tremper ses lèvres une nouvelle fois dans la
mixture, sous prétexte de trinquer à nouveau. Elle se demandait
avec une curiosité macabre quels types d'ingrédients répugnants
avaient pu entrer dans la composition de ce qu'il fallait bien
appeler la boisson, à défaut d'un autre terme. Elle essayait aussi
d'évaluer le nombre de personnes qui pourraient mourir avec une
seule goutte de la concoction versée dans une réserve d'eau, et
s'il y avait des chances pour que la « boisson » explose
en cas de mouvements brusques.
- Fabrication artisanale - expliqua le
vieil homme.
- Ca, je n'en doute pas – murmura
Catelyn, les yeux toujours fixés sur son verre, au cas où la
mixture se mettrait tout à coup à prendre vie.
Leur hôte s'approcha de la fenêtre,
un verre de son poison à la main, en prit une gorgée, puis se
retourna vers ses invitées :
- Concernant notre affaire, j'ai la
certitude, au vu du nombre de petits animaux, de chiens, puis
dernièrement de chevaux trouvés exsangues, qu'au moins un vampire
est arrivé dans les environs au cours de la semaine dernière. Votre
contrat est simple : je veux que vous nous protégiez, moi et ma
nièce, de la menace, le temps que nous quittions les lieux.
- Et les autres habitants ?
- A quoi bon vouloir sauver le
village? Barbebouq est durablement infesté par l'engeance vampirique
: quoi que l'on fasse, on ne l'en débarrassera pas. Plus maintenant.
Et vous avez vu comme moi les spécimens d'idiots congénitaux dont
nous parlons. Il faut être honnête, il n'y avait déjà pas
grand-chose à sauver avant dans la populace de ce village, alors
maintenant...
- A la bonne heure – répondit Lili,
tout sourire – voilà une mission concise et précise, et une saine
philosophie ! Alors, il est où ce contrat, qu'on le signe enfin?
Le vieil homme, tout en sirotant son
verre, poursuivit :
- Avant tout, je voudrais que vous me
promettiez si la chose est possible, de ne pas parler de ces démons
à ma nièce. Elle est jeune, encore naïve, et je voudrais lui
laisser, ne serait-ce qu'un instant, un peu de son innocence.
La porte s'ouvrit tout à coup en
grand, alla cogner contre le chambranle, et deux silhouettes
détrempées sortirent de l'obscurité : une jeune fille aux cheveux
noirs et un homme à la barbe et aux cheveux mal entretenus5.
Alice se précipita vers le vieil
homme :
- Mon oncle, on est poursuivis par un
vampire!
Ce dernier se tourna vers ses hôtes,
l'air un peu las :
- Bon, oubliez ce que je viens de
dire.... Mesdames, voici ma nièce, Alice. Alice, je te présente
Lili Belladone et Catelyn Mc Cluster, spécialistes en tératologie.
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1Ceux
qui en étaient pourvus étant partis depuis longtemps déjà.
2Mais
avaient tout intérêt à se taire s'ils voulaient garder la tête
sur leurs épaules.
3Mais
cela semblait être un état naturel et permanent chez lui.
4Le
nom de l'estaminet, « Le colosse qui pisse », lui avait
déjà mis la pisse, pardon, la puce à l'oreille.
5Aux
lecteurs qui se demanderaient qui sont ces deux personnes, je
recommanderai de remonter d'une page ou deux dans le présent récit
ainsi que de s'entraîner un peu la mémoire.
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