lundi 23 novembre 2009

Le blanc chevalier

Le champs de bataille : un appartement vide, ou presque. Deux cartons attestaient qu'il y avait eu un jour de la vie par ici. Quelques vieilles revues erraient tristement au sol.

Le guerrier et son adversaire se faisaient face. Le combattant était paré de sa (plus ou moins) glorieuse tenue de guerre : un vieux jean déchiré aux couleurs passées et un t-shirt trop grand, qui portaient tous deux les multiples traces des combats précédents.

Il avait guerroyé bien des fois, au cours d'une campagne éreintante qui durait depuis déjà deux semaines. Il avait arpenté de nombreuses contrées, soutenu par ses fidèles compagnons : Vigor et monsieur Propre. Dans la salle de bain, les moisissures avaient lutté vingt terribles minutes avant d'être proprement éradiquées. Plus tard, la chambre et ses poussières embusquées dans les moindres recoins n'avaient pas tenu longtemps face au chevalier et son balai dévastateur. La cuisine, par contre, avait résisté longtemps et avec acharnement. Le guerrier avait du se montrer implacable, et les souffrances infligées à la graisse et à la crasse prouvaient, si preuve il fallait, la détermination sans faille de l'Homme.
Oh oui, la guerre Propreté est une guerre sale!

En ce jour, un dernier adversaire lui barrait le chemin.
Le mur.
Sous un air inoffensif se cachait l'ennemi le plus retord du chevalier. Organisé et méticuleux il avait préparé sa défense depuis longtemps déjà : en première ligne, une toile de verre usagée affichait avec arrogance un jaune pisseux décourageant. Embusquées un peu partout, plusieurs déchirures, fournies à l'ennemi par un horrible traître félidé, se préparaient à assurer des sueurs froides au guerrier. Enfin, de multiples tâches et traces grisâtres étaient prêtes pour une lutte acharnée et sans pitié.
Mais le combattant lui non plus n'était pas seul : dans sa main droite, le dernier pot de peinture blanche, son allié le plus indéfectible ; dans sa main gauche, une arme redoutée et redoutable : le rouleau de peinture.

Un silence tendu régnait sur la scène. Les adversaires s'observaient en chien de faïence. Chacun retenait son souffle. Un vieux journal emporté par un courant d'air passa lentement entre les deux camps.
Puis, sans que rien ne laissa présager de son geste, le guerrier plongea à une vitesse stupéfiante le rouleau dans le pot de peinture blanche et se fendit d'une attaque basse qui visait une pauvre tâche, isolée de ses compagnons. Une coulée blanche recouvrit instantanément la malheureuse victime, qui n'eut pas même le temps de pousser un cri.
La dernière bataille de l'appartement débuta.
Le mur opposa toutes ses défenses à l'assaillant. Les attaques multiples se heurtèrent au jaune persistant de la toile de verre. Le guerrier asséna son coup fétiche, une attaque à la perfection rarement égalée, et pensa l'espace d'une seconde l'avoir définitivement enseveli sous la peinture. Mais tel un démon surgit des enfers, le jaune ressortait encore, fantôme au sourire moqueur. Les tâches, elles aussi, bénéficiaient d'une résistance stupéfiante. Elles harcelaient sans cesse l'assaillant, qui devait toujours rester sur ses gardes. Et quand, par quelque miracle le guerrier parvenait à effacer ces menaces, on voyait se dresser, à travers les traces de peinture, des ombres menaçantes et terribles. Les maudites déchirures.
Mais le chevalier de Propreté jeta toutes ses forces dans le combat. Se fendant à droite un instant, taillant dans la masse à gauche le moment qui suivait, il frappait de taille et d'estoc de son rouleau, avec une énergie qui, si elle n'était inspirée par Dieu, devait l'être par le désespoir.
Les défenses du mur tombèrent, une à une, et bientôt ne resta plus qu'une poche de résistance, un groupe de tâches harassées, de déchirures et de toile de verre épuisées, cernées de tous côtés par la blancheur éclatante de la peinture.
L'ardeur du combat avait vidé le pot de son énergie et de sa peinture. Cette attaque, sans aucun doute, serait sa toute dernière. Dans un geste lent et plein de noblesse, le chevalier, couvert à présent de multiples tâches, planta son rouleau dans le pot, y prélevant les dernières gouttes de peinture. D'un mouvement sec, il projeta les ultimes munitions contre les résistants. Leurs derniers instants furent trop insoutenables pour le coucher ici.

Il recula lentement, conscient de l'instant historique dont il était l'acteur, et regarda une dernière fois le mur, avec tout le respect qu'il devait à un ennemi valeureux. Une blancheur lumineuse le couvrait entièrement. Enfin.
Le chevalier marcha d'un pas épuisé (mais fier) vers la porte. Jamais jean troué et T-shirt élargi n'avaient assisté à plus beau combat, qui marquerait certainement à jamais les mémoires des Hommes.
Mais il arrive qu'un ennemi qui paraissait mort renaisse de ses cendres tel le phénix. C'était le cas, en ces ultimes instants de la guerre. Un craquement sinistre résonna à travers tout l'appartement. Un craquement qui ressemblait à un hurlement de douleur et de défi.
Le guerrier, avec lenteur, se retourna et fit face, une nouvelle fois, à son adversaire : se précipitant sur lui tel un tsunami sur une île paisible, la toile de verre se détachait comme au ralenti du mur. Le guerrier ne pensa pas un instant à fuir, et fut bientôt entièrement enseveli.
Le corps meurtri mais l'esprit encore clair, le guerrier jeta un regard à son pot de peinture vide qui gisait tristement non loin de lui.
Puis il éclata en sanglot.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Epique !
Bises,
Elise

Anonyme a dit…

XD
trop bien, c'est pas un sujet super intéressant mais t'as su lui donner une signification ^^
joli point de vu