dimanche 4 septembre 2016

Les incroyables (mais presque vraies) aventures du club des chasseurs Ch.4

Chapitre 4 : Le Petit Frère. Le cas du bus canari :

Le paysage morne de champs moches, mous et mouillés avait amorti la chute du bus avec un bruit de succion peu ragoutant. Le gros engin avait aplati plusieurs mètres de plants de colza (peut-être le seul point positif de l’accident) avant de s’immobiliser. Les phares illuminaient le décor, c’est-à-dire pas grand-chose d’intéressant, et le moteur tournait encore.

- Mais c’est vrai qu’elle est solide, cette boite de conserve.

Lili avait émergé la première de la structure. Derrière elle, se massant la tête, Catelyn se hissa hors du véhicule en jetant un regard noir à la blondinette : pas une égratignure, pas une bosse, et ces deux petites couettes insupportablement impeccables, à peine mouillées et en aucune façon décoiffées. C’était proprement et désespérément injuste. La rousse écarta une mèche trempée et boueuse de devant ses yeux mouillés et boueux, massa une bosse douloureuse (et boueuse) sur son front, tata blouson de cuir intact et son t-shirt déchiré (et tâché par la boue) avant de murmurer :

- C’était un Petit Frère, non ?

A son tour, Robert apparut, le regard sombre1 :

- C’en est un, oui. Où est Alice ?
- Aucune idée…

La pluie avait cessé, les nuages avaient fui la scène et la lune s’était obligeamment mise en avant. Elle aurait pu éviter, le spectacle n’était pas des plus réjouissant : En arrière-plan, une masse de goules trainait les restes d’Alcibiade au loin. Au premier plan, la nièce du vieil homme tournait le dos au reste du groupe, la tête baissée, les poings crispés, les yeux rivés sur le deuxième plan. Le deuxième plan, donc, c’est à dire le gros et grand monstre au regard fou, à la mâchoire déboitée et à moitié arrachée, pendante et baveuse, aux bras gigantesques et simiesques touchant presque le sol, au torse aussi large qu’une plateforme pétrolière et aux jambes comme des piliers de béton. C’était bien un Petit Frère, c’était même Petit Charlie. Rarement dans l’histoire de la patronymie des surnoms n’avaient été aussi mal attribués.

Alice se retourna, croisant les regards de Robert, Catelyn et Lili.
Instinctivement, ses trois compagnons reculèrent d’un pas. Alice ne les regardait pas, pourtant. Elle ne les voyait même pas : ses yeux étaient deux puits sans fond, deux tourbillons noirs où le chagrin et la rage se disputaient la place en un combat sans fin. Sa mâchoire crispée en une parodie malsaine de sourire grimaçant révélait des lèvres retroussées, d’où semblait sortir un grondement sourd, à peine perceptible mais pourtant - comment pouvait-ce être possible - audible à dix mètres ; une vibration à faire trembler les os et les têtes. Le pouvoir sourdait du corps de la jeune fille avec une telle force qu’il en paraissait presque palpable. Elle semblait à cet instant capable de tout. Et de toute évidence, elle en avait l’intention.

Cependant, elle tournait le dos à un vampire de type 3. Un TYPE 3.
Un type 3 qui, avant même sa transformation, aurait pu gagner sans trop se dépenser la coupe du monde de folie furieuse psychopathique.
Un type 3 dont les mains avaient chacune la surface d’une raquette de tennis. Une grande raquette de tennis.

Le revers la cueillit juste sous le menton et, à l’issue d’un élégant lob par-dessus les têtes de Cate, Lili et Robert, l’envoya heurter rudement le bus canari puis glisser contre le sol, inconsciente.

- Ouch – dit Lili – ça doit faire mal, ça – elle marqua un silence, puis : - Bon, on se casse ?

Robert lui jeta un regard meurtrier, Catelyn leva les yeux au ciel.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

Sans répondre, le brun arma son fusil et avança vers le vampire. Catelyn jeta un regard lourd de sens à la petite blonde, ce qui lui faisait une belle jambe vu qu’elle ne savait pas de quel sens il était lourd.

- Mais qu’est-ce que j’ai dit, encore ?

Roger, avec détermination et un certain fatalisme, avança sur le monstre, qui le regardait d’un regard avide, avec un appétit mal dissimulé pas du tout dissimulé.
Il tira à deux reprises au hasard, attirant l’attention du monstre qui se tourna lentement vers son agresseur. Roger se campa fermement sur ses pieds - alors que le vampire le scrutait - mis à nouveau sa carabine en joue - le monstre poussa un hurlement terrifiant surmontant les bruits du moteur du bus et de l’orage réunis - visa soigneusement - le vampire commença à courir, provoquant des séismes à chacun de ses pas - puis enfin tira. Il tira sans s’arrêter, droit dans la tête. Dix coups d’affilée, presque sans pause entre les coups, des tirs de professionnel, un travail magnifiquement exécuté qui aurait mérité des applaudissements. Enfin, s’il avait eu le plus petit effet. La chose ne parut pas souffrir, ne ralentit même pas et, arrivée au contact du brun, leva une main gigantesque et griffue, tout en esquissant un sourire.
Roger ferma les yeux par réflexe et, sentant le souffle du déplacement d’air, attendit le choc. Et puis il attendit encore. Et puis il ouvrit, timidement, un œil, la tête toujours rentrée dans les épaules, au cas où. Puis il se détendit (enfin, autant que possible à proximité d’un type 3) :

Tiens, elle était venue, finalement, la petite furie qui se battait maintenant avec la bestiole, ou plutôt essayait. Toute rapide qu’elle soit, ça ne suffisait pas : il recevait peu de coups – et autant s’écraser le poing contre un pilier en béton armé – mais en donnait beaucoup. Elle encaissait étrangement bien, cette Lili, revenant à la charge à la vitesse d’une fusée quand il l’expédiait au loin, frappant d’un côté, de l’autre, mordant, griffant, hurlant, parant et contre-attaquant sans cesse. Mais c’était le combat de David contre Goliath, celui d’un moustique contre un Eurocoptère EC665 Tigre. Bref, c’était inégal et perdu d’avance.
C’est alors que la terre boueuse, de part et d’autre du vampire, changea de forme et de texture, s’assembla, se dressa et se modela en deux semblant de bras. Des bras énormes, larges et hauts comme les troncs de deux arbres vénérables. Les deux appendices enlacèrent le vampire, doucement d’abord, comme on enlace un amant. Et puis ils serrèrent, serrèrent, de plus en plus fort.

Roger jeta un regard en arrière : Catelyn, agenouillée à terre, avait enfoncé dans le sol ses deux bras jusqu’aux épaules. Sa respiration était saccadée, des gouttes de sueur perlaient sur la peau de son visage crispé par la concentration, par la douleur aussi, peut-être. Elle non plus ne tiendrait pas longtemps.

Bah, pensa Roger, perdu pour perdu... Il haussa les épaules et avança vers le monstre. Il attendit un moment de répit dans le combat enragé entre ce dernier et la blondinette, puis lui tapota sur l’épaule. Le vampire, un brin étonné, tourna la tête vers Roger. Visant soigneusement, ce dernier envoya son plus bel uppercut dans le visage peu ragoutant de la créature. Il entendit un craquement, qui venait sans doute de sa main plutôt que du visage de l’autre.
« Voilà, se dit-il, c’est fait » Il ressentait une sorte de soulagement à l’idée que ça allait finir, là, maintenant. Pour l’instant, aucune douleur, aucune sensation n’était présente. Derrière lui, il entendit vaguement les voix de Catelyn et Lili, sans y prêter plus attention que ça. Le temps s’étira, semblait-il à l’infini.
Puis il fit plus sombre, tout à coup.
Roger leva les yeux au ciel, mit quelques secondes avant de comprendre, puis les écarquilla tandis qu’une vague d’adrénaline se déversait à travers tout son corps. Ce dut être cet instinct de survie ancré en chaque être vivant, et non quelque réaction consciente, qui le fit se jeter sur le côté, oublieux de tout, y compris de l’affreuse créature à ses côtés.

Cabossé, déformé, éraflé, déglingué, toujours revêtu pourtant de sa livrée jaune caractéristique, le bus s’abattit sur le vampire dans un bruit assourdissant, avant de s’élever à nouveau dans les airs, semant des coulées de terre et de sang sur son sillage. Le vampire se releva en grognant, groggy, et le bus s’abattit à nouveau sur lui. Puis une troisième fois, avant même que le monstre n’ait pu se relever. Une quatrième fois. Une cinquième…

Roger avait rampé à l’écart et observait stupéfait le spectacle. Sans répit, le bus s’élevait, retombait, s’élevait, retombait, creusant un cratère de boue, de terre, et de pierres de plus en plus profond là où se trouvait encore le vampire.
Le brun se tourna vers ses deux compagnes d’infortune, médusées elles aussi. Catelyn haussa les épaules en réponse au regard muet de l’homme.
Un mouvement, derrière. Une ombre, une silhouette reconnaissable.
Il la vit s’avancer, boueuse, crasseuse, des masses de cheveux lui tombant sur le visage, ensanglantée de la tête au pied, à peine vivante. On ne voyait plus que le blanc de ses yeux exorbités. Alice s’approcha du Petit Frère en titubant. On eut dit qu’un marionnettiste l’utilisait, ses bras, ses jambes bougeaient sans logique aucune, sa tête dodelinait au rythme de ses soubresauts.

Le vampire n’était maintenant plus qu’un amas à peine reconnaissable de chair mais il y avait de la vie en lui, encore. Il commença à se relever.

Les bras de la brune, comme mus par une vie propre, se levèrent vers le monstre - les mains pendaient au bout comme des bout de chiffons inutiles – et au-dessus d’eux deux, toutes les vitres du bus se brisèrent en même temps. Un grincement ignoble fit trembler toute la structure, alors que des dizaines de morceaux de métal gros comme la main se désolidarisaient les uns après les autres de la structure. Ils virevoltèrent follement pendant plusieurs secondes puis s’agglomérèrent en une sphère tranchante et mortelle qui entoura l’être. Et chaque morceau de verre, chaque bout de métal tordu se mit en branle. La sphère le transperça, le lacéra, lui creva les yeux, lui trancha les jambes, les bras, lui transperça le cœur et pour finir le décapita.
Quelques instants encore, le monstre resta debout et Roger frissonna d’horreur à l’idée qu’il fut encore vivant et qu’il allait bientôt s’avancer vers eux, absurde créature sans tête. Mais la chose bientôt chut au sol et, le temps d’un clin d’œil, se mua en une poussière fine que le vent balaya sans attendre.

C’était fini. Le vampire était mort.

Alice poussa un gémissement à peine audible, et tous ses muscles se relâchèrent les uns après les autres : ses bras churent le long de son corps, un genou céda, puis l’autre et la jeune fille s’écroula enfin dans la boue, la tête en avant. Roger vint la prendre dans ses bras, avec douceur et précaution, comme on cueille une fleur rare. Catelyn, à ses côtés, leva la tête vers l’homme brun :
- Mais qu’est-ce qu’elle est ?
- Je ne sais pas – répondit-il, les yeux rivés sur la jeune fille inanimée –Je ne sais pas…

Alors seulement le bus retomba, cabossé, torturé, estropié, mais étrangement peu au regard du traitement qu’il avait subi. Quant au moteur, il tournait encore, sans à coup. Lili vint alors tapoter la carcasse, comme on caresse un chien bien dressé.


Le groupe redressa péniblement le bus canari mal en point et reprit la route. La pluie et l’orage avaient cessé. A part le grondement rassurant du bus, rien ne venait troubler ce calme dont on parle rarement, celui après la tempête. On avait allongé Alice à cheval sur deux banquettes : elle n’avait toujours pas repris conscience. Roger avait, sans un mot et sans qu’on lui demande, repris le volant du bus. Catelyn, blottie dans un siège encore intact, s’était endormi rapidement malgré les courbatures et les blessures, son blouson posé sur le torse, bercée par les cahotements de la route. Lili, debout sur un siège, le vent fouettant ses deux couettes, contemplait d’un air pensif les ombres mouvantes et éphémères qui défilaient au passage du véhicule. Elle massait sa joue endolorie d’un air absent.
Elle alla retrouver Roger à l’avant du bus. Tous deux, en silence, contemplèrent un instant le soleil émerger, ses feux rougeoyants qui bientôt feraient sécher les sols et les blessures. Ils avaient traversé, ensemble, une terrible épreuve. Lili tourna son regard vers celui de Roger. Il lui fit un léger sourire qui disparut aussitôt quand elle conclut leur aventure de ces mots :

- Quand c'est qu’on arrive ?
1Ce qui en soi ne signifiait rien : le « regard ténébreux© », était une marque de fabrique chez le brun. Il avait d’ailleurs été déposé par Roger : il détenait des droits dessus.

mercredi 31 août 2016

Balade au Musée du Jouet, Moirans en Montagne (39)

Pour la troisième fois, cet été, j'ai été visiter le Musée du jouet de Moirans en Montagne. J'ai toujours adoré les jouets anciens et plus récents (je collectionne les Playmobil depuis mon enfance et saute sur les jouets et jeux anciens que je croise en brocantes quand mes moyens me le permettent ^_^!). Impossible pour moi donc d'ignorer ce musée situé à moins de dix kilomètres de la maison de famille et entièrement rénové entre 2010 et 2012. Point important à mes yeux : il est accessible aux personnes en fauteuil roulant.

Le musée possède une collection de près de 20000 pièces datées du 2ème millénaire avant JC jusqu'à nos jours, dont 2000 exposées, et organise régulièrement des expositions temporaires : sur les Playmobil il y a deux ans, et sur le vélo cette année à l'occasion du passage du tour de France dans la ville cette été.

Les collections sont organisées au sein d'un parcours thématique (jeux d'intérieurs, jeux d'extérieurs et fabrication des jouets, puisque le Jura est le pôle de fabrication du jouet en France).

Place à quelques images pour vous donner envie à votre tour de visiter ce musée!

 Depuis le président américain Théodore Roosevelt (1901-1909),
le "Teddy bear" est à la mode!

 Petites et grandes voitures émerveillent...

 Bateaux, trains, voitures, avions : des jouets universels!

 La poupée, un des plus ancien jouet de l'humanité...

 J'ai un gros faible pour les meubles de poupées ^_^!

Les automates, jouets de luxe du siècle dernier...
 
 Balles, quilles, seaux...
Le mot "boulevard" est né au Moyen Âge du jeu de boules pratiqué dans la rue!

 A dada sur mon cheval à pédales...

 Ou à dos de tracteur!

 Les jeux d'images et d'animation ont révolutionné le XIX° siècle... Jouets de luxe!

 Jeux de théâtre et de société...

 Un tour, qui servait à fabriquer les jouets en bois tourné, spécialité du Jura...
Les paysans tournaient des jouets en hiver, durant la saison morte, pour gagner de l'argent!

Site du musée :
Tarifs :
7,50E en plein tarif.
Musée ouvert toute l'année.
Musée accessible aux personnes handicapées!

dimanche 28 août 2016

Les incroyables (mais presque vraies) aventures du club des chasseurs Ch.3

Chapitre 3 : Conférence sur les vampires. Marche silencieuse. Course bruyante. Le Véhicule :

Catelyn se massa un instant les yeux, tentant vainement de se soustraire au spectacle affligeant qui lui faisait face.
C'était la cuisine, et le mot affligeant n'était pas de trop. Nul besoin de décrire les meubles ou la "décoration", il nous suffira de préciser que la pièce avait été conçue dans les années quatre-vingt, période phare s'il en est du mauvais goût.
Cependant, la cuisine avait deux avantages : le premier, elle était en bon état. Entendez par là qu'aucun éclair n'avait traversé son plafond et qu'aucune fenêtre n'avait été brisée par une balle de fusil. Deuxième avantage, au regard de la coupure de courant, elle était pourvu en abondance de bougies.
L'éclairage ainsi apporté, s'il était chiche, avait l'avantage de cacher aux yeux de nos héros une grande partie de l'immonde tapisserie qui parasitait les murs depuis, semblait-il, une trentaine d'années.

Tout le monde s'était installé autour d'une table métallique peinte en "vert Derrick"1, dans un silence tendu. Ce fut Cate qui prit la parole en premier :

- Bon. Deux choses : la première, on est parvenu à battre deux vampires sans aucune perte. La deuxième, on est pas deux mais bien trois Puissants, vu que la petiote aussi à des pouvoirs.
- Ne m'appelez pas petiote - répondit Alice en la pourfendant de son regard à défaut d'autre chose -
- Deuxième chose – reprit la rousse sans aucune considération pour Alice et à son grand agacement - et c'est plus inquiétant, ces deux vampires que nous avons combattu sont de type 4. La bleusaille sera j'en suis sûre ravie d'apprendre qu'on compte 3 type de vampires : les vampires de type 2 sont les plus puissants. On les appelle aussi les Pères, et ils ont la capacité par le partage de leur sang de créer soit un égal, à la puissance similaire à la leur, soit une version abâtardie de la race (le type 3 donc) appelée Petits Frère, et dotée de la capacité de créer par simple morsure les versions les plus dégénérées de la race, les types 4, ou goules.
- Et il n'y a pas de vampires de type 1 ?
- On raconte effectivement qu'il existe une version monstrueusement puissante et incroyablement cruelle de la race vampirique. En réalité ça n'existe pas, ça n'a jamais existé et ça n'existera jamais : c'est une légende urbaine pour vampire craintif. Un mélange de croque mitaine et d'objet de croyance, si l'on peut dire, pour la société vampirique, qui les appelle les Grands-pères.
- Ouais - confirma Lili - Enfin Grands-pères ça veut pas dire grabataires de maison de retraite, on est bien d'accord : ces bestiots là, c'est du lourd, du high level. A ta place, ma grande, j'oublierai le type 1, on aura largement de quoi faire avec les types 4, comme ceux qu'on vient de combattre, et le type 3 qui doit encore traîner dans le coin.
- Et - rajouta le barbu - prie, même si tu ne crois pas en dieu, pour qu'on ne croise pas le type 2 à l'origine de ce bordel, parce que si on en croise un...
- Oui oui, on sait tous ce qui se passera si on en croise un - conclut Catelyn - Au passage, je vois bien qui est la petite là, Alice, mais pas vous. C'est quoi votre nom, et qu'est-ce que vous faites ici ?

L'homme se gratta la barbe d'un air songeur, jeta un regard au vieillard comme pour guetter un accord que visiblement il ne trouva pas, puis tendit la main à la rousse :
- Moi c'est Robert. J'ai été engagé par Alcibiade pour servir, plus ou moins, de garde du corps à la demoiselle aux ustensiles. Pour tout dire, je viens de....
- 'S'en fout, ton curriculum, ça nous intéresse pas - dit Lili de sa jolie voix de petite fille - Bon, si l'infection se poursuit on va avoir un joli comité d'accueil dehors, alors ce n’est pas vraiment le moment de tenir une conférence, Cate...
La rousse s'empourpra avant de répliquer :
- Je ne tiens PAS une conférence!

...

Finalement, après concertation, il fut décidé de rejoindre le sud du village, dans une grange où le vieil Alcibiade gardait un moyen de locomotion qui, ils l'espéraient tous, leur permettrait de fuir rapidement les lieux.
La maison Alcibiade et la grange étant à l'exact opposé l'une de l'autre, il leur faudrait traverser l'intégralité de Barbebouq. Outre le plaisir très mitigé que la visite du village inspirait à nos héros, il y avait aussi le risque de tomber sur ses habitants (perspective déjà peu reluisante en soi) transformés en goules. Il allait sans dire que la discrétion la plus totale était de mise.

Le groupe suivit donc en silence Catelyn, sous la pluie battante et les éclairs.
Maussades, trempés, fatigués par le précédent combat, les cinq compagnons n'étaient certes pas de la meilleure des humeurs au moment de contourner l'église par le cimetière qui la jouxtait. L'ambiance qui se dégageait de l'endroit, semé d'herbes folles et d'un enchevêtrement anarchique de pierres tombales plus laides les unes que les autres, ne fit rien pour rafraichir l'atmosphère.

- Je le sens mal - fit Lili d'un air sombre.
- La ferme - siffla Cate entre ses dents.

Elle jetait des regards nerveux autour d'elle sentant, elle ne savait comment, quelque chose. Un malaise soudain. Un truc qui clochait, un silence inquiétant à vous glacer le sang.

- Euh, c'est quoi, ça - murmura Robert, d'une voix un peu tremblante.

Ils étaient là : silhouettes claudicantes émergeant d'entre les pierres tombales avec une lenteur horrifiante. On n'en voyait pas grand-chose, mais leurs yeux et leurs crocs, luisant à la faveur d'un éclair, suffirent à tous. C'étaient des goules. Une vingtaine.

- Pitain pitain pitain...
- Bonjour l’ambiance - sortit Lili - il manquerait plus qu'ils...

Un hurlement collectif et lugubre en provenance des silhouettes creva l'obscurité et dura de longues secondes, traversant l'épine dorsale de nos héros, électrisant tous leurs nerfs et hérissant chaque poil de leurs corps.

- Et merde ! On court ! Allez go, go, go !

Et c'est de façon beaucoup plus chaotique et beaucoup moins discrète que nos héros se mirent à fuir de toutes leurs jambes, se bousculant presque, en un joyeux désordre.
Héros ou mécréants, qu’ils soient bénis ou qu'ils soient maudits, peu importait au fond : une chose les rapprochait. Tous entendaient le bruit de cavalcade de la horde non-morte à leur poursuite, très proche, trop proche, et il ne leur fallait pas beaucoup d'efforts pour s'imaginer sentir les souffles rauques et méphitiques dans leur dos.
Ils entendirent, venant de gauche, de droite, d'autres grondements, entre-aperçurent quelques regards avides. D'autres se joignaient à la horde. Dix, quinze, vingt maintenant. Non, trente. Comment un si petit village pouvait concentrer autant d'êtres - ils étaient peut-être cinquante, maintenant – quel sens mystérieux avait fait se rassembler tous ces monstres ? La peur aidant, oublieux de la fatigue et de la conjugaison, ils courrirent à en perdre haleine, les poumons en feu, le cœur battant la chamade. Plus question de se faufiler ou de se tapir, pour cela il était trop tard. Il fallait fuir loin, très loin, oublier toute autre notion, ne pas regarder derrière, ne plus réfléchir.
Le vieux Alcibiade lui-même, au corps rachitique et à la musculature défaillante, dépassait les capacités qu'on eut pu attendre de lui. Il dépassait, les uns après les autres, chacun de ses compagnons. Courir, courir, sans jamais s'arrêter, puis rejoindre le véhicule et enfin fuir loin de ce village maudit.

Hors d'haleines, ils virent avec un peu de soulagement le grand bâtiment qui abritait le véhicule. Le vieil homme chercha fébrilement la clé du cadenas, ses mains tremblantes - qui savait lequel, de la peur ou de l'âge, en était la cause - ne l'aidaient pas dans sa tâche, il commença à s'affoler, extirpa un énorme trousseau d'une poche de son long manteau, essaya une clé, hésitant, recommença avec une autre, sans succès, puis...

- Poussez-vous !

Alcibiade eut à peine le temps de se reculer : Roger armait son fusil. La détonation fit pâle figure face aux coups de tonnerre, mais elle suffit à faire sauter le cadenas. Roger tira les deux gigantesques portes et l'on put admirer, dans toute sa splendeur et avec soulagement, le véhicule que leur avait promis le vieil homme. Un instant, tout le monde fit silence, puis Lili résuma l'avis général :

- C't'une blague ?

...

Les vingt goules s'approchaient de la grande bâtisse.
Les humains... La chair fraîche...
Ils étaient dedans, tous le savaient. Leurs yeux avides luirent furtivement, le ciel gronda quelques secondes plus tard. Lentement, repliés sur eux-mêmes, sans autre pensée que la faim qui leur tordait le corps et l'esprit, les griffes tendues en avant, ils avancèrent vers les deux grandes portes.
Soudain, un grondement aussi fort que le tonnerre mais bien plus proche. Un grondement qui ne s'arrêtait pas. Une lumière s'alluma, filtrant à travers les planches disjointes de la grange. Par réflexe, certaine goules se couvrirent les yeux de leurs bras, comme si cette luminosité pouvait rivaliser avec celle du soleil. D'autres eurent la présence d'esprit de s'écarter de la porte.
Grand bien leur prit : défonçant le bois pourtant épais, un monstre de métal jaune fonça à travers la nuit. Le bus - car il s'agissait d'un bus, immense et jaune canari - écrasa quelques goules puis roula vers l'horizon, avec plus de vitesse que ne le laissait supposer sa masse, mais pas assez encore pour empêcher certaines goules de s’agripper pour ensuite...

...

"- Accélérez ! Accélérez, ils nous rattrapent!
- Alors vous et votre amie vous commencez à me taper sur les nerfs - gronda Robert - C'est un bus, ça, pas une Ferrari!
Alice, tout au fond du bus, tentait de scruter les ténèbres, derrière. Elle pouvait discerner des formes, des ombres mouvantes qui parvenaient presque à maintenir le rythme.
- Euh, vous ne pouvez pas accélérer un peu, par hasard?
- Non mais c'est pas vrai, vous vous êtes tous donnés le mot !
- Sympathique, ce mode de transport que vous nous offrez, Alcibiade - sortit Lili, avachi sur un des nombreux sièges - Quelle allure sportive, quel félin de la route ! Je suis positivement impressionnée.
- Excusez-moi de vous avoir sauvé la vie, jeune fille - répliqua le vieil Alcibiade, encore à bout de souffle – Mais vous faites pas trop d’bile, ce petit bijou n'a pas encore dévoilé toutes ses...
Le vieil homme n'eut pas le temps de finir sa phrase : une vitre à sa gauche venait d'exploser et une main décharnée avait jaillie pour se saisir du malheureux, que Lili retint juste avant qu'il ne soit happé par le vide. Plusieurs paires de bras s’agrippèrent à leur tour au vieil homme : Lili n'était pas de taille.
Elle jeta un regard autour d'elle : jaillies des multiples vitres du bus, les goules s'avançaient avec lenteur (rien ne pressait : pour une goule rien ne presse jamais). La fillette sut qu'elle ne retiendrait pas longtemps l'homme. Personne n'aurait le temps de lui venir en aide, pas même Alice, qui depuis le fond du bus n'eut que le temps de partager un regard avec son oncle avant que Lili ne lâche ses bras, le laissant choir dans la nuit, à la merci des goules voraces.
Le cri strident d'Alice perça la nuit, monta si haut que le tonnerre lui-même fit pâle figure à côté de sa puissance. Au mépris du danger, la jeune fille pencha la tête par la vitre la plus proche, juste le temps d'apercevoir son oncle, à terre, recouvert d'un amas de goules.
Sanglotant à moitié, elle s'avança vers l'avant du bus cahotant. Elle-même ne savait pas très bien ce qu'elle comptait faire. Peut-être saisir le volant, peut-être se précipiter sur le frein à main... peu importe au fond, puisqu’elle n'eut pas le temps de faire quoi que ce soit.
Juste devant Robert, éclairé par les phares puissants du bus scolaire, une silhouette massive était apparue : la brune et le barbu eurent juste le temps de le reconnaître avant que le bus ne le heurte lourdement, puis qu'il bascule sur le côté pour glisser sur plusieurs mètres.

1 C'est à dire un vert sale tirant sur le gris, auquel s'ajoutait une nuance de marron délavé, couleur dominante de tout épisode de la série Derrick.

dimanche 31 juillet 2016

Les incroyables (mais presque vraies) aventures du club des chasseurs Ch.2

Chapitre 2 : Un combat. La victoire du pic à fondue :

On approchait maintenant la minuit. Ce qui signifiait, au village de Barbebouq, une absence totale d'activité. Déjà, de jour, on ne peut pas dire que l'animation battait son plein, mais alors la nuit, je vous raconte pas.
Ombre parmi les ombres, aussi discrète qu'une brise de vent, une silhouette tassée sur elle-même, ce qui ne suffisait pas à cacher son imposante stature, progressait de maison en maison, redressant parfois la tête pour flairer l'air ambiant avant de se remettre en chemin. Son chemin, justement, la menait droit vers une demeure, immense silhouette qui, malgré les trombes d'eau qui l'assaillaient et la dissimulaient en partie, gardait son côté imposant et effrayant. Enfin, pour tout être encore capable d'être effrayé par quoi que ce soit.
La créature resta un moment à contempler la bâtisse, puis avisa la porte d'entrée encore grande ouverte. Une autre silhouette, moins massive, la rejoignit et jeta à son tour un regard à l'ouverture lumineuse. Les deux créatures, l'une à la suite de l'autre, se précipitèrent dans la bâtisse.

...

Quand deux vampires surgirent dans la maison du nommé Alcibalde, les réactions furent diverses :
Catelyn baissa la tête et entreprit de fouiller méthodiquement son sac à main.
Lili, après avoir jeté un regard à sa collègue, se précipita vers le monstre.
Alcibiade marcha d'un pas résolu vers la deuxième bestiole.
Robert épaula son fusil.
Alice partit dans la direction opposée, la cuisine.

La suite fut plus chaotique, en grande partie parce qu'à la suite d'un éclair, l'électricité avait sauté : Lili parvint rapidement sur le premier vampire, Alcibiade un peu plus tard sur le second, plus grand. Le vieil homme brandit quelque chose sous le nez de l'aberration qui la fit reculer.
Les coups de tonnerres se succédaient sans interruption, ainsi que les éclairs qui illuminaient à intervalles réguliers les faciès immondes des monstruosités. Un coup de tonnerre, un de plus, résonna : c'était le tir de Robert, dont la balle évita admirablement sa cible pour finir pile au milieu d'une vitre, qui éclata en de multiples morceaux.
A la faveur d'un rayon de lune, on put voir le combat acharné de la petite fille et du grand vampire, une mêlée indistincte, un amas de jambes et de bras qui se saisissaient les uns les autres. Difficile de dire qui gagnait. Catelyn cria quelque chose qui fut couvert par un nouveau coup de tonnerre. Apparemment, sa consœur comprit, avec un peu de retard. Elle eut tout juste le temps de se jeter en arrière et de fermer les yeux : la rousse jeta sur le monstre une poignée de poudre qui, suite à la mélopée de cette dernière s'enflamma brusquement en projetant alentour une lumière crue, qui s'éteignit aussitôt alors que le vampire poussait des cris stridents, les jambes en feu. De toute évidence, cela ne suffisait pas, alors Lili se jeta de nouveau dans le combat, le temps que Cate prépare un nouveau sort...

Le vampire qu'Alcibiade avait repoussé lui avait tourné autour un moment, crachant, sifflant et détournant la tête tandis que le vieillard dirigeait vers lui son crucifix. Puis le coup de fusil de Robert attirant son attention, le monstre galopa vers ce dernier, pour moitié sur les pieds, pour moitié à quatre pattes. Avant que le barbu ait le temps de recharger son fusil, le monstre l'avait projeté à terre d'un côté, et son arme de l'autre. L'homme tenta de retenir de ses deux mains la tête du vampire qui se précipitait en grognant tel une bête enragée sur sa gorge, mais la force de la bête était démesurée, et bientôt sa gueule grande ouverte ne fut plus qu'à quelques centimètres de la jugulaire du brun. Millimètre par millimètre, le monstre progressait, toujours plus près de la veine saillante de l'homme en sueur. Bientôt ce serait la fin. Encore un millimètre. Un autre...
C'est à ce moment que resurgit Alice. La jeune fille ne s'était pas précipitée dans la cuisine par lâcheté ou par peur : Elle était allée chercher des armes. Enfin des sortes d’armes. Elle avait fait avec les moyens du bord, et c'était donc une véritable armada de fourchettes, de couteaux et autres ustensiles de cuisine sales qui suivaient la jeune fille en lévitant, leurs tranchants luisant faiblement à chaque éclair qui tombait. Ses yeux dont seul le blanc était visible, sa bouche ferme, son air décidé, ses poings serrés, elle avait tout d’une déesse vengeresse et implacable. Lentement elle leva un index et le pointa sur le monstre qui maintenait Robert à terre. C’était l’annonce d’un funeste destin : l'armée de métal s'élança : chaque pointe, aiguisée ou non, se planta fermement dans l'épiderme pâle de la bête, et ce fut par un heureux hasard un pic à fondue, portant encore quelques traces de son récent combat contre une fondue de fromage, qui assena le coup fatal au vampire, se fichant dans sa nuque si profondément qu'il atteint le cerveau. L'être monstrueux eut juste le temps de pencher la tête en arrière, la bouche ouverte en un cri muet, avant de tomber en poussières sur le sol de la salle à manger, entraînant dans sa chute les armes qui l'avaient pourfendu.
Alice amorça l'ébauche d'un sourire à l'homme à qui elle avait sauvé la vie et à son oncle, puis fut tout à coup, comme eux, projetée au sol. Une luminosité d'une rare intensité lui fit tourner la tête vers l'autre combat, à deux pas de celui-ci : Elle dut aussitôt fermer les yeux, et même alors, une douleur sourde, souvenir de la trop puissante lumière, fit battre ses tempes. Elle resta marquée autant par le spectacle que la révélation qu'il apportait : la rousse, Catelyn McCluster, les yeux fixes et sereins, les mains le long du corps, face au monstre sur lequel tombait, du ciel et à travers le toit qu'il venait de démolir et de mettre en feu, un terrible éclair qui plaquait la créature à quatre pattes et la consumait à une vitesse démentielle.
Elle n'en avait aucun doute, c'était bien la femme rousse qui maîtrisait le terrible éclat, celui-là même qui les avait tous envoyés à terre, dans un gigantesque tremblement qui avait secoué la maison du toit jusqu'à ses fondations.
Elle rouvrit les yeux pour constater la disparition du deuxième vampire. De lui ne restait sur le sol qu'un amas de poussière ainsi qu'une trace noire sur le plancher, au centre d'un cercle enflammé laissé par la foudre.

dimanche 24 juillet 2016

Les incroyables (mais presque vraies) aventures du club des chasseurs Ch.1

Chapitre 1 : une bien belle une riante une région. Barbebouq. Les Capucines. :

La Beauce était peut-être le département le plus laid et le plus triste de France. Par quelque transfert mystérieux, des générations de seigneurs consanguins, de paysans amorphes et abrutis par le travail, d'exploitants cupides et sournois, de taciturnes tenanciers, de femmes au foyer dépressives et d'artistes maudits dénués de talents1 avaient laissé leur empreinte dans le paysage. Sur plusieurs centaines de générations, une sorte de conscience collective avait émergée, rependant aux alentours son influence incoercible. Bien plus qu'une ambiance, c'était un avertissement lancé par la Beauce au reste de la France. Difficile de traduire en langage clair l'essence de ce message. Disons qu'il faisait ressentir à tout être un sentiment qu'on pourrait nommer, à défaut d'un meilleur terme, de la désespérance molle. Le paysage lui-même traduisait l'ennui à l'état pur. Des champs, grandes étendues jaunâtres sans relief, s'étendaient à perte de vue. Quelques groupes d'arbres rachitiques, épines malsaines plantées dans le paysage, attendaient qu'un bûcheron compatissant vienne les achever et les seuls oiseaux qu'on pouvait y rencontrer ne chantaient jamais ou pire, chantaient faux.
Tranchant le paysage, une route passait. Une nationale large et rectiligne, sans doute à l'usage des gens qui voulaient traverser les lieux le plus vite possible.
Au milieu de la route, une petite fille blonde à couettes marchait.

...

En plein cœur de la Beauce, un peu à l'écart de la nationale, un événement nouveau se passait à Barbebouq, et la chose était tellement rare qu'elle mérite d'être notée.
Barbebouq, c'était ce qui se rapprochait le plus par ici d'un village : une vingtaine de maisons branlantes serrées les unes contre les autres, dont une boulangerie qui faisait aussi office d'épicerie, de poste, de mairie et surtout de PMU ; accolé à cette dernière, un musée était dédié à un seul et unique thème : le pain sous toutes ses formes ; et enfin, au centre du tout, une modeste église accompagnée, comme de juste, de son curé, son cimetière, son fossoyeur et ses fidèles.
Tout le monde ici connaissait tout le monde, pour deux raisons essentielles : tout d'abord, le nombre d'habitants était si réduit qu'il fallait avoir une mémoire terriblement défaillante pour ne pas reconnaître, au moins de vue, son prochain. Ensuite il fallait être réellement désespéré pour visiter ou pire, s'installer à Barbebouq. Cela faisait donc plus de dix ans qu'on avait pas vu s'arrêter un étranger.
On pouvait légitimement se demander l'intérêt de faire commencer l'histoire en ces lieux ou rien, jamais, ne se passait.
Sauf que ce jour-là, et c'était en soi un événement, une voiture surgit en trombe dans la rue principale, freina brusquement tout en effectuant un demi-tour complet dans un nuage de poussière, et s'immobilisa enfin en faisant crisser désagréablement ses pneus. La conductrice, une sorte de kamikaze du volant qui s'appelait Catelyn, observa le décor depuis l'habitacle de la voiture, coupa le contact, puis poussa un soupir et la porte de son véhicule.
Le calme habituel retomba sur le village.
Aucune des maisons ne semblaient abriter le moindre signe de vie humaine, et les champs qui cernaient le village paraissaient vides eux aussi. A part le bruit des bottes de l'intruse, aucun son ni semblant de vie ne semblait vouloir peupler l'endroit. Quelque part au loin, un grillon stridula pour faire bonne mesure.
La femme s'assit sur un plot en pierre qui semblait n'attendre qu'elle, fit jouer les articulations de son cou en esquissant une légère grimace, et sortit d'une poche de son jean un téléphone mobile, en ces lieux inutile, auquel elle jeta un regard résigné.
Étant donné la relative immobilité de la femme, l'instant paraît idéal pour opérer une description de celle-ci. De bas en haut voici ce qu'on voyait : Des bottes, d'abord. Pas des bottes à talons aiguilles et couleurs savamment choisies, non. Des bottes toutes simples en vieux cuir marron, pesantes, plus utiles dans les bonnes bagarres de bar avec coups de pieds dans les testicules que dans les défilés de mode. Ensuite un jean, un peu moulant mais pas trop, mettant en valeur juste ce qu'il fallait de formes pas désagréables à regarder. Plus haut encore, un t-shirt ajusté, blanc, quelque peu déformé par une petite poitrine, et dessus un imprimé en forme de taches de sang très désagréablement ressemblantes. Par-dessus ce t-shirt, la femme portait un manteau de cuir marron, un peu usé. Plus haut enfin, un visage aux traits doux, des lèvres fines, un petit nez menu et retroussé et des yeux verts perçants - rehaussés par un trait noir de khôl - couronnés par une chevelure bouclée d'un roux flamboyant, coupée court et au carré. Le tout constituait un mélange détonnant de brutalité et de féminité, ce qui n'ôtait rien, bien au contraire, au charme de Catelyn, ses nombreux amants pouvaient d'ailleurs en témoigner2. La jeune femme leva la tête vers le ciel rempli de nuages, puis fouilla dans le grand sac à main qu'elle portait en bandoulière, apparemment en vain.
Et merde : il allait bientôt pleuvoir et elle n'avait pas de parapluie.
...

On ne pouvait pas tomber sur Barbebouq par hasard. Il fallait réellement vouloir y aller pour trouver le village. Et même alors, on pouvait encore ne pas trouver Barbebouq.
C'était ce que se disait la petite fille, alors qu'elle marchait à travers champs et que la nuit allait bientôt faire son apparition. La lueur pâle du soleil couchant donnait à la nature des teintes oranges qui devaient sans doute être magnifiques, mais la petite fille n'y prêtait aucune attention, trop occupée qu'elle était à tenter de retrouver son chemin : ce stupide village ne devait pas être loin, mais toute sa bonne volonté n'y faisait rien. Elle en était à espérer rencontrer une bonne âme, ce qui, quand on la connaissait, prouvait qu'elle avait épuisé toutes les autres alternatives.
Elle était mignonne, la blondinette, avec son pantalon noir et sa veste de même, par dessus une chemise blanche au col en dentelle. Sa chevelure soyeuse était ramenée en deux couettes, et ses grands yeux bleus lui donnaient un regard d'ange. Véritablement, la petite Lili, car c'est ainsi qu'on l'appelait, était mignonne, et paraissait bien inoffensive.
L'autre, par contre, le paraissait moins.
Une salopette bleue, des cheveux en bataille, le regard aviné et une énorme bedaine faisaient partie des principales particularités de l'homme qui venait de surgir devant la petite fille. Mais aucun de ces traits ne constituaient la première chose qu'elle vit de l'homme. La première chose que son regard croisa, ce fut la fourche qu'il pointait sur elle.
- Qu'esse tu fout là! Dis moi qu'esse tu fout là ou j't'embroche!
Le langage recherché de l'homme était au diapason de l'haleine fétide qu'il exhalait. Son regard fit (mais difficilement) le point sur celle qui lui faisait face, et un sourire édenté fendit alors son visage, qui était pourtant déjà bien assez terrifiant comme ça.
- Mais, t'es qu'une tite gosse ! – conclut-il finement. Il jeta un regard à la ronde, et poursuivit avec un ton cruel dans la voix – une tite fille toute seule à c'que j'voit... Viens voir tonton Tim, petiote. Tu va voir, on va bien s'amuser. Allez, viens...
Un peu de bave coulait le long de son menton alors qu'il zieutait la petite d'un air d'aliéné. Ce qui ne parut par effrayer celle-ci plus que ça, puisqu'elle s'approcha doucement de l'homme, qui ponctuait chacun de ses pas d'un « bien, bien » du plus mauvais augure.
Puis la fillette s'élança.
Il suffit d'un battement de cils : elle fut juste à côté de lui, la fourche qu'il tenait fermement une seconde plus tôt dans ses petites mains enfantines. Encore hébété3, l'homme reçut un coup de pied dans le thorax qui l'envoya au sol, plusieurs mètres plus loin. Un autre battement de cils : la blonde était maintenant debout sur son torse, et dardait sur lui 1/ sa fourche, et 2/ un regard homicide.

...

Quand Catelyn était entré dans la boulangerie-épicerie-poste-mairie-PMU, un seul coup d’œil avait suffit pour qu'elle sache à quoi s'attendre4. Une série de néons défaillants plongeaient dans l'ombre plus qu'ils n'éclairaient des lieux en état de délabrement avancé. Le patron, grand ,gros, et gras, lui jeta un regard peu amène et poussa un grognement. Catelyn désigna du doigt une bouteille derrière le bonhomme, couverte d'une crasse dont il ne valait mieux pas connaître l'origine. Elle plongea sont regard dans la substance vaguement ambrée que lui versa le tenancier avant d'en boire la totalité, cul-sec.
Bon, qu'est-ce qu'elle foutait, l'autre? La principale qualité de Catelyn n'étant certes pas la patience, il lui fallait trouver une occupation en attendant.
« Toi, t'es une étrangère! »
Quelqu'un venait de lui poser une main poisseuse sur l'épaule. La jeune femme se retourna lentement, un grondement sourd au fond de la gorge. Le spectacle n'était pas très beau à voir : un visage mou et triste, ravagé par le temps et l'alcool, un corps long, maigre, courbé et deux bras comme des enclumes composaient l'homme.
« J'aime pas les étrangères, moi – cracha-t-il. Il fit une pause qui se voulait sans doute dramatique, puis repris – Et mes potes non plus, ils aiment pas les étrangères. »
Des grognements d'acquiescement se firent entendre dans toute la salle, tandis que des chaises raclaient le sol.
-Vous, vous tombez bien! – gronda-t-elle. »
D'un regard, La femme fit le tour de ses adversaires – ils était douze – puis se tourna vers le barman.
Visiblement habitué de la chose, il avait sorti une batte de sous le comptoir. Catelyn la lui retira des mains d'un mouvement rapide. Il lui jeta le regard apeuré d'un hérisson face aux phares d'une voiture, puis plongea derrière son comptoir.
Elle soupesa son arme un instant, puis sourit à l'assemblée.
« Alors, qui commence? »

...

Le service de bus reliant le lycée des Capucines au reste de la région n'était pas des plus performants (pour la bonne raison qu'il n'y avait pas de service de bus desservant le lycée des Capucines), aussi Alice (yeux bleus, cheveux noirs corbeau, 16 ans, plutôt grande pour son âge et toutes ses dents) avait pris l'habitude de rentrer chez son oncle par ses propres moyens, c'est à dire avec les pieds de ses jambes. On ne peut pas dire que le défilé du paysage déjà décrit plus haut inspirait la poésie, tout juste incitait-il à la méditation intérieure (ou plus sûrement à des pensées morbides). Et en effet, Alice méditait. Elle méditait sur la vie, la mort, le destin et toutes ces choses, et surtout sur l'étrange malédiction qui l'avait fait naître à l'endroit le plus déprimant et dénué d'intérêt de France. Elle réfléchissait aussi au moyen le plus sûr et surtout le plus rapide de décamper.
Toute à ses pensées, Alice ne remarqua la camionnette l'ayant dépassée qu'au moment où elle s'arrêta, à quelques mètres d'elle, les phares allumés pointés vers le vide. Personne n'en sortit. Seul bruit aux alentours, le moteur de la voiture à l'arrêt continuait de tourner. Une crainte sourde, un sentiment de malaise fit s'arrêter Alice. Pourquoi la camionnette s'était-elle arrêtée là, juste devant elle? Et surtout, pourquoi son occupant n'en sortait pas? Elle tenta vainement de se rassurer : peut-être consultait-il une carte, peut-être se payait-il une pause? Peut-être, oui...
La pluie commença à tomber, doucement. Deux trois gouttes d'abord. Une ou deux minutes plus tard, elle s'intensifia un peu.
Et puis, si ça se trouvait, il n'y avait à l'intérieur de la camionnette qu'un vieil impotent, incapable de sortir de son véhicule sans l'aide d'une canne. Un vieux, oui. Petit. Gentil. Inoffensif.
Une silhouette s'extirpa enfin de la voiture, lentement. Il commençait à faire sombre, et Alice ne voyait devant elle qu'une ombre, très grande, très massive aussi, et le soleil couchant juste derrière. Si c'était là le petit vieux qu'elle s'imaginait, il devait être nourri aux anabolisants.
La silhouette se déplia interminablement, contre toute logique apparente, plus haute qu'il ne paraissait possible. Alice ne distinguait pas grand-chose de l'être qui lui faisait face mais, par quelque sens caché, quelque instinct de survie, elle fut saisie d'une peur soudaine autant qu'irrépressible. Un sentiment qui lui faisait se rappeler que, tient, elle avait oublié, mais elle avait un rendez-vous urgent loin, très loin. Le peu qu'elle voyait de la créature avait quelque chose de répugnant : deux yeux sans pupilles, comme morts, était plantés sur un visage d'une pâleur cadavér... D'une pâleur inquiétante.
Alice fit un pas en arrière, lentement. Un autre. Elle prit conscience d'un bruit de moteur pétaradant, celui d'un véhicule qui se rapprochait. Une autre bonne surprise? Elle se retourna.
Derrière elle, un homme brun, à la barbe et aux cheveux mal entretenus, de quarante ans, peut-être plus, campé sur une mobylette hors d'âge, dérapa sur la route humide pour s'arrêter à moins d'un mètre d'elle. La pluie ne semblait pas le déranger plus que ça, malgré la mèche mouillée qui lui tombait sur le front. Il braqua vers le monstre un vieux fusil, juste à côté de l'oreille d'Alice. Son doigt se crispa sur la détente.
Le bruit de la détonation assourdit Alice quelques instants. Elle vit le corps de la chose tressauter et tomber à terre, le ventre déchiqueté par la balle.
On lui tapota l'épaule. C'était le barbu, descendu de son engin pour lui proférer une suite de sons sans aucun sens. Elle agita la tête en signe d'incompréhension, avec un petit sourire niais et désolé. L'homme poussa un soupir, puis finit par la tirer par le bras.
Encore abasourdie, elle se laissa mener jusqu'à la vieille mobylette, au phare encore allumé.
Lorsqu'elle s'installa derrière l'inconnu, le son revint brusquement : le vrombissement du moteur pétaradant, le bruit de la pluie qui tombait maintenant en grosses gouttes, le souffle de sa respiration saccadée.
La mobylette roulait depuis quelques minutes déjà quand Alice prit conscience de ce qui s'était passé. Elle se pencha en avant et dit, d'une voix blanche :
- Vous l'avez tué.
La voix de l'inconnu lui parvint de devant :
- Mieux vaut lui que moi, ou toi. Et il n'est pas mort de toute façon, j'ai mal visé. Je n'ai touché aucun organe vital.
- Vous lui avez détruit l'estomac, les intestins et la moitié de la colonne vertébrale.
- C'est ça : aucun organe vital.
Quelques secondes passèrent dans le silence le plus total. La pluie tombait en rangs serrés maintenant. Alice était trempée, sans y prêter plus attention que ça.
- Qu'est-ce que vous appelez un organe vital?
- Pour cette chose? Le cœur, et encore ça dépend ; la tête, plus sûrement.
Alice frissonna, certainement pas à cause de la pluie.
- C'était quoi?
- Un monstre. Une horreur. Une aberration de la nature.
Un éclair zébra la nuit, suivi quelques secondes après d'un grondement sourd : ça posait son ambiance. L'homme rajouta :
- Un vampire, si tu préfères.
- Ah. Heureusement qu'on l'a semé, alors.
- C'est ça, heureusement. Au fait, si tu regardes bien tu distingueras la lueur de deux phares, juste derrière nous. A ton avis, qu'est-ce que c'est?
En effet, Alice pouvait remarquer au gré des virages et à travers le rideau de pluie deux lumières parallèles qui suivaient leur parcours.
- Il nous poursuit! - s'écria-t-elle à l'oreille du chauffeur.
- Applaudissons notre gagnante!

...

Quand une petite fille aux couettes blondes et au regard bleu azur entra au Colosse qui Pisse, personne ne réagit. A un bout de la salle, rassemblés autour d'une table pour quatre, une dizaine d'hommes maintenait les yeux baissés sur leur boisson (il ne s'agit pas ici d'une faute d'accord : il n'y avait à cette table qu'une seule et unique boisson) dans un silence tendu. La petite fille posa un regard étonné sur leurs visages tuméfiés. Au comptoir, le barman essuyait avec empressement un verre, en jetant de temps à autre un regard inquiet vers une table à laquelle était confortablement installée une rousse au regard vert, qui souriait innocemment en regardant de temps à autre en direction du groupe d'hommes.
Le visage de la petite fille s'éclaira et elle s'approcha de la rousse.
- Bah alors, t'étais où? -demanda Catelyn, l'air vaguement renfrogné.
- Perdue – s'excusa Lili. Un sourire rêveur aux lèvres, elle ajouta – et j'ai eu un léger contretemps. Toi aussi à ce que je vois.
- Tu ne vas pas me croire, mais pour une fois je n'y suis pour rien.
- C'est ce que tu dis à chaque fois...
Catelyn se leva et rejoignit sa consœur à l'entrée du bar, non sans avoir jeté un long regard à la salle et ses occupants.
- On y va – dit-elle finalement.

Ça avait dû être volontaire. Forcément. On n'avait pas pu bâtir une maison aussi effrayante par hasard. L'architecte avait dû regarder attentivement deux ou trois vieux films d'horreur gothiques expressionnistes et mixer tout ça pour obtenir ce résultat :
Une maison toute en hauteur, aux formes tarabiscotées, un assemblage de roches sombres et de fenêtres crasseuses dont les ouvriers, en la construisant, avaient sans doute fait avec les moyens du bord, c'est à dire sans angles droits. Le toit était constitué de tuiles d'ardoise bleu sombre dont plusieurs étaient tombées. Une mousse d'un vert maladif ainsi qu'un lierre grimpant donnaient une touche de nature à la bâtisse. Vu la tête du lierre et de la mousse, ce devait être une nature brutale, meurtrière et hostile au genre humain. Enfin, une cheminée montée de travers expulsait une fumée noire du plus mauvais augure.
- Et ben, c'est gai - fit Lili, qui contemplait la façade aux côtés de Catelyn.
Catelyn sonna, déclenchant un carillon qui s'arrêta brusquement dans un couac angoissant.
- Festif, je dirais – ajouta la rousse.
La porte s'ouvrit sur un vieillard parcheminé, courbé en avant, revêtu d'un manteau grisâtre, et qui sentait le vieux chien mouillé.
- Catelyn, je présume ?
Celle-ci hocha la tête, puis soupira :
- Vous savez, vous êtes tout à fait raccord avec l'ambiance de votre maison.
- Je sais – fit-il en souriant – Entrez, je vous en prie.
A la plus grande surprise de Catelyn et de Lili, l'intérieur de la maison n'incitait guère à hurler d'horreur, à moins d’être allergique aux poils de chien qui colonisaient en vainqueurs toute surface existante. Le vieil homme les invita à s'asseoir devant le feu de cheminée. Quelques minutes passèrent, où chacun laissa son regard se perdre dans les méandres du feu, puis Lili déclara, avec un art consommé pour mettre les pieds dans le plat :
- Alors comme ça, il y a du vampire dans le coin ?

Installée devant la cheminée, Catelyn plongeait ses yeux avec suspicion dans une boisson que le vieil homme venait de lui servir. Elle essayait de tenir le verre aussi éloigné d'elle que possible en espérant qu'il n'allait pas lui demander de tremper ses lèvres une nouvelle fois dans la mixture, sous prétexte de trinquer à nouveau. Elle se demandait avec une curiosité macabre quels types d'ingrédients répugnants avaient pu entrer dans la composition de ce qu'il fallait bien appeler la boisson, à défaut d'un autre terme. Elle essayait aussi d'évaluer le nombre de personnes qui pourraient mourir avec une seule goutte de la concoction versée dans une réserve d'eau, et s'il y avait des chances pour que la « boisson » explose en cas de mouvements brusques.
- Fabrication artisanale - expliqua le vieil homme.
- Ca, je n'en doute pas – murmura Catelyn, les yeux toujours fixés sur son verre, au cas où la mixture se mettrait tout à coup à prendre vie.
Leur hôte s'approcha de la fenêtre, un verre de son poison à la main, en prit une gorgée, puis se retourna vers ses invitées :
- Concernant notre affaire, j'ai la certitude, au vu du nombre de petits animaux, de chiens, puis dernièrement de chevaux trouvés exsangues, qu'au moins un vampire est arrivé dans les environs au cours de la semaine dernière. Votre contrat est simple : je veux que vous nous protégiez, moi et ma nièce, de la menace, le temps que nous quittions les lieux.
- Et les autres habitants ?
- A quoi bon vouloir sauver le village? Barbebouq est durablement infesté par l'engeance vampirique : quoi que l'on fasse, on ne l'en débarrassera pas. Plus maintenant. Et vous avez vu comme moi les spécimens d'idiots congénitaux dont nous parlons. Il faut être honnête, il n'y avait déjà pas grand-chose à sauver avant dans la populace de ce village, alors maintenant...
- A la bonne heure – répondit Lili, tout sourire – voilà une mission concise et précise, et une saine philosophie ! Alors, il est où ce contrat, qu'on le signe enfin?
Le vieil homme, tout en sirotant son verre, poursuivit :
- Avant tout, je voudrais que vous me promettiez si la chose est possible, de ne pas parler de ces démons à ma nièce. Elle est jeune, encore naïve, et je voudrais lui laisser, ne serait-ce qu'un instant, un peu de son innocence.
La porte s'ouvrit tout à coup en grand, alla cogner contre le chambranle, et deux silhouettes détrempées sortirent de l'obscurité : une jeune fille aux cheveux noirs et un homme à la barbe et aux cheveux mal entretenus5.
Alice se précipita vers le vieil homme :
- Mon oncle, on est poursuivis par un vampire!
Ce dernier se tourna vers ses hôtes, l'air un peu las :
- Bon, oubliez ce que je viens de dire.... Mesdames, voici ma nièce, Alice. Alice, je te présente Lili Belladone et Catelyn Mc Cluster, spécialistes en tératologie.

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1Ceux qui en étaient pourvus étant partis depuis longtemps déjà.
2Mais avaient tout intérêt à se taire s'ils voulaient garder la tête sur leurs épaules.
3Mais cela semblait être un état naturel et permanent chez lui.
4Le nom de l'estaminet, « Le colosse qui pisse », lui avait déjà mis la pisse, pardon, la puce à l'oreille.
5Aux lecteurs qui se demanderaient qui sont ces deux personnes, je recommanderai de remonter d'une page ou deux dans le présent récit ainsi que de s'entraîner un peu la mémoire.

mercredi 20 juillet 2016

Feuillets de cuivre

Il est sorti fin 2015, mais il n'y a pas d'heure pour parler des bonnes choses, et Feuillets de cuivre en fait partie :

Ça se passe à Paris, nous sommes en 1872, et nous allons suivre Ragon, flic obèse et rêveur, dans ses enquêtes au sein de la ville lumière.
Ses armes? Son flair, sa perspicacité et... Son amour des livres. Et oui, chaque enquête, d'une manière ou d'une autre, trouvera sa résolutions par la littérature. Les férus de littérature apprécierons les références sans que les autres soient perdus pour autant.

Feuillets de cuivre, c'est du steampunk et de la magie  préparez-vous à croiser savants fous, magie de l’éther et psychopathes. Mais l'intérêt est aussi ailleurs, car Fabien Clavel s'attache à faire évoluer son personnage principal au fil des nouvelles, de simple flic à commissaire...
Et puis il y a ce personnage, qui participe au sel de l'histoire et qui... Ah mais non, ça je ne peux pas vous le dire sans vous gâcher la fin du livre!

Policier ingénieux à l'ambiance steampunk, inspiré autant des feuilletons littéraires du XIXème siècle que des séries télé modernes Feuillets de cuivre est un très, très bon roman !

Feuillets de cuivre, Fabien CLAVEL, éditions ActuSF, 20E

Le pacte du Hob



Voilà un roman que j'ai découvert totalement par hasard, et qui de plus est à part dans l’œuvre de Patricia Briggs. Bref, un météorite ^_^! A mon grand dam, c'est un one shot, pas de suite, hélas!

L'héroïne se nomme Aren. Elle a 26 ans, et s'est mariée la veille alors qu'elle pensait qu'à son âge, cela ne lui arriverait plus. Elle nage donc en plein bonheur. Mais en quelques heures, ce bonheur bascule. Des bandits en maraude massacrent sa famille, la montagne qui surplombe son village se met à gronder et la magie de la terre, entravée depuis des siècles par les mages de sang, se libère brutalement. C'est le chaos absolu, des pans de montagnes s'effondrent, des rivières noient les vallées, il semble à première vue que seul le village d'Aren ait résisté au réveil de la magie ancienne. Personne ne sait ce qu'il est advenu au reste du pays.

Personne, sauf Aren. Dans une volonté désespérée d'en finir une fois pour toutes, écrasée par son malheur, Aren avoue un fait capital au village : elle a des Visions d'évènements qui ont lieu ailleurs ou dans le futur, et en temps normal, cela lui vaudrait d'être mise à mort, car seuls les mages de sang sont autorisés à avoir recours à la magie. Mais voilà, les temps normaux n'existent plus, le roi est mort de la main de son propre mage de sang, le royaume entier a été ravagé par le réveil de la magie, et les villageois sont seuls face aux maraudeurs qui rôdent, et aux anciennes forces magiques que le réveil de la terre a sorti de leur très long sommeil. A moins que certaines de ces créatures magiques ne se rangent de leur côté? C'est ce pacte qu'Aren va tenter de passer avec l'une de ces puissantes et anciennes créatures pour sauver ceux qui peuvent l'être encore.

Patricia BRIGGS, Le pacte du Hob
éditions l'Atalante, 15E
(édité en poche chez Milady, mais je déteste la couverture ^_^)

Les incroyables (mais presque vraies) aventures du club des chasseurs

Prologue :

Il faisait nuit. Y'avait aucun doute la dessus. Plus « nuit » que cette nuit là, ça pouvait pas exister. Déjà, il y avait cette obscurité impénétrable. Rien que ça, c'était un coup à vous foutre les boules, une belle pétoche. Mais il y avait quelque chose de plus, dans cette nuit là. Enfin, de moins. Pas un bruit, pas même un seul insecte nocturne qui faisait... Qui faisait ce que les insectes nocturnes ont l'habitude de faire. Et pas une seule foutue voiture à passer par là.
Ils étaient trois: Bibi Jean (Bibi, ou BB pour Big Boss), Petit Charlie (2m10, 110 kilos, un tiers graisse, deux tiers muscles, tout dans la finesse), et Genius Gérard (le plus intelligent du trio, il s'enorgueillissait d'un QI de 68). Les fameux trois frères Cragnon, connus comme la plus terrible légende urbaine à circuler parmi les automobilistes de la région.
Ils avaient roulés dans leur vieille camionnette de dépannage agonisante jusqu'à la nationale, fidèles à leur habitude, afin d'emprunter pour une durée indéterminée ce dont les conducteurs de passage n'avaient plus vraiment besoin : à savoir leur voiture, leur argent, leurs vêtements, leur vie et éventuellement, si la fille était jeune et jolie, leur vertu.
Mais ce soir là, rien d'intéressant à se mettre sous la dent. La moisson était pitoyable. Oh, il y avait bien eu cette petite vieille avec sa non moins petite et vieille deudeuche. La carcasse métallique ambulante était dans un état de délabrement avancé. La petite vieille aussi : pas question de lui prendre sa vertu, à celle là. Ils avaient trouvé sur elle un portefeuille misérable, avec trois pauvres billets de dix euros. La rombière gisait maintenant dans son sang et le coffre de la camionnette, et les trois amis attendant le prochain client songeaient déjà à rentrer au foyer, quand Genius surprit plus loin sur la route deux lueurs. Les trois frères se jetèrent des regards avides et malsains puis allumèrent les phares de leur camionnette. La soirée n'était, finalement, peut-être pas perdue.

Le conducteur de la voiture était pressé, c'est pourquoi il avait pris ce virage annoncé dangereux à plus de 100 km/h. Pas de souci pour lui, il savait ne pas risquer grand chose à part, en cas d'accident, un changement de voiture et un léger retard sur ses plans, retard qui risquerait de l'agacer quelque peu.
En plein milieu du virage, deux phares illuminèrent le pare-brise d'un éclat blanc aveuglant. Le conducteur, dans un réflexe idiot, certes, mais humain, mit ses bras devant les yeux pour les protéger de l'éclat blessant. Ce faisant, il avait lâché le volant. Sentant la voiture dévier, le conducteur reprit précipitamment le volant en main et en donna un coup brusque. La voiture se cabra, fit un tonneau dans un fracas assourdissant, puis deux, puis trois, et pour finir glissa sur le toit sur dix mètres, en un long crissement de métal torturé.
Un silence oppressant suivit. Tout était redevenu immobile, à part une roue du véhicule qui tournait encore inutilement1.

Juste en face, les phares à l'éclat funeste jetaient leurs lueurs sur la scène macabre. Trois silhouettes émergèrent lentement de la lumière pour s'approcher du véhicule. La plus grande silhouette émit un petit gloussement. Elle ne savait de toute évidence par faire autre chose de ses cordes vocales. C'était Petit Charlie. Génius Gérard prit la parole, d'une voix désagréablement grinçante.
« T'es vivant, là dedans? » hurla-t-il d'un ton qui laissait entendre qu'il ne valait mieux pas.
Toujours cette absence totale de bruit, une absence angoissante. Que rompit quelques secondes plus tard Bibi Jean :
« Si t'es vivant mon gars, sors de la voiture lentement, et personne souffrira plus qu'il faut, c'est promis! »
Petit Charlie gloussa une nouvelle fois.
Le ronronnement de la camionnette qui servait jusque-là de fond sonore à la scène s'arrêta brutalement, et la lumière des phares laissa place à l'obscurité. Totale. Impénétrable.
La lune s'était cachée derrière les nuages, sans doute pour échapper à la scène qui allait suivre. Il n'y avait pas âme qui vive à plusieurs kilomètres à la ronde, à part celles des trois frères.
Ou presque.
Une voix grondante, pleine d'un appétit mal contenu, murmura, juste derrière l'oreille de Bibi Jean :
« Personne ne souffrira plus qu'il ne faut ? Quelle étrange idée... »
Un ricanement lugubre troua la chape de silence qui s'était abattue sur la scène, un ricanement horrifiant qui dura quelques très longues secondes avant de s'éteindre brusquement. Brisant le silence surnaturel qui régnait, trois cris terribles déchirèrent la nuit.
Il n'y avait personne pour les entendre...

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1La chose se produit à chaque accident. C'est, plus qu'une convention, une sorte de règle établie une fois pour toute : pour toute voiture qui finit sur le dos, il faut sans exception une roue, et une seule, qui continue de tourner.


mercredi 3 février 2016

Très belle année 2016!


Très belle année 2016...

Oui, toujours là malgré un long silence ; mais vous pouvez constater que c'était pour la meilleure des raisons ;-)!