dimanche 24 juillet 2016

Les incroyables (mais presque vraies) aventures du club des chasseurs Ch.1

Chapitre 1 : une bien belle une riante une région. Barbebouq. Les Capucines. :

La Beauce était peut-être le département le plus laid et le plus triste de France. Par quelque transfert mystérieux, des générations de seigneurs consanguins, de paysans amorphes et abrutis par le travail, d'exploitants cupides et sournois, de taciturnes tenanciers, de femmes au foyer dépressives et d'artistes maudits dénués de talents1 avaient laissé leur empreinte dans le paysage. Sur plusieurs centaines de générations, une sorte de conscience collective avait émergée, rependant aux alentours son influence incoercible. Bien plus qu'une ambiance, c'était un avertissement lancé par la Beauce au reste de la France. Difficile de traduire en langage clair l'essence de ce message. Disons qu'il faisait ressentir à tout être un sentiment qu'on pourrait nommer, à défaut d'un meilleur terme, de la désespérance molle. Le paysage lui-même traduisait l'ennui à l'état pur. Des champs, grandes étendues jaunâtres sans relief, s'étendaient à perte de vue. Quelques groupes d'arbres rachitiques, épines malsaines plantées dans le paysage, attendaient qu'un bûcheron compatissant vienne les achever et les seuls oiseaux qu'on pouvait y rencontrer ne chantaient jamais ou pire, chantaient faux.
Tranchant le paysage, une route passait. Une nationale large et rectiligne, sans doute à l'usage des gens qui voulaient traverser les lieux le plus vite possible.
Au milieu de la route, une petite fille blonde à couettes marchait.

...

En plein cœur de la Beauce, un peu à l'écart de la nationale, un événement nouveau se passait à Barbebouq, et la chose était tellement rare qu'elle mérite d'être notée.
Barbebouq, c'était ce qui se rapprochait le plus par ici d'un village : une vingtaine de maisons branlantes serrées les unes contre les autres, dont une boulangerie qui faisait aussi office d'épicerie, de poste, de mairie et surtout de PMU ; accolé à cette dernière, un musée était dédié à un seul et unique thème : le pain sous toutes ses formes ; et enfin, au centre du tout, une modeste église accompagnée, comme de juste, de son curé, son cimetière, son fossoyeur et ses fidèles.
Tout le monde ici connaissait tout le monde, pour deux raisons essentielles : tout d'abord, le nombre d'habitants était si réduit qu'il fallait avoir une mémoire terriblement défaillante pour ne pas reconnaître, au moins de vue, son prochain. Ensuite il fallait être réellement désespéré pour visiter ou pire, s'installer à Barbebouq. Cela faisait donc plus de dix ans qu'on avait pas vu s'arrêter un étranger.
On pouvait légitimement se demander l'intérêt de faire commencer l'histoire en ces lieux ou rien, jamais, ne se passait.
Sauf que ce jour-là, et c'était en soi un événement, une voiture surgit en trombe dans la rue principale, freina brusquement tout en effectuant un demi-tour complet dans un nuage de poussière, et s'immobilisa enfin en faisant crisser désagréablement ses pneus. La conductrice, une sorte de kamikaze du volant qui s'appelait Catelyn, observa le décor depuis l'habitacle de la voiture, coupa le contact, puis poussa un soupir et la porte de son véhicule.
Le calme habituel retomba sur le village.
Aucune des maisons ne semblaient abriter le moindre signe de vie humaine, et les champs qui cernaient le village paraissaient vides eux aussi. A part le bruit des bottes de l'intruse, aucun son ni semblant de vie ne semblait vouloir peupler l'endroit. Quelque part au loin, un grillon stridula pour faire bonne mesure.
La femme s'assit sur un plot en pierre qui semblait n'attendre qu'elle, fit jouer les articulations de son cou en esquissant une légère grimace, et sortit d'une poche de son jean un téléphone mobile, en ces lieux inutile, auquel elle jeta un regard résigné.
Étant donné la relative immobilité de la femme, l'instant paraît idéal pour opérer une description de celle-ci. De bas en haut voici ce qu'on voyait : Des bottes, d'abord. Pas des bottes à talons aiguilles et couleurs savamment choisies, non. Des bottes toutes simples en vieux cuir marron, pesantes, plus utiles dans les bonnes bagarres de bar avec coups de pieds dans les testicules que dans les défilés de mode. Ensuite un jean, un peu moulant mais pas trop, mettant en valeur juste ce qu'il fallait de formes pas désagréables à regarder. Plus haut encore, un t-shirt ajusté, blanc, quelque peu déformé par une petite poitrine, et dessus un imprimé en forme de taches de sang très désagréablement ressemblantes. Par-dessus ce t-shirt, la femme portait un manteau de cuir marron, un peu usé. Plus haut enfin, un visage aux traits doux, des lèvres fines, un petit nez menu et retroussé et des yeux verts perçants - rehaussés par un trait noir de khôl - couronnés par une chevelure bouclée d'un roux flamboyant, coupée court et au carré. Le tout constituait un mélange détonnant de brutalité et de féminité, ce qui n'ôtait rien, bien au contraire, au charme de Catelyn, ses nombreux amants pouvaient d'ailleurs en témoigner2. La jeune femme leva la tête vers le ciel rempli de nuages, puis fouilla dans le grand sac à main qu'elle portait en bandoulière, apparemment en vain.
Et merde : il allait bientôt pleuvoir et elle n'avait pas de parapluie.
...

On ne pouvait pas tomber sur Barbebouq par hasard. Il fallait réellement vouloir y aller pour trouver le village. Et même alors, on pouvait encore ne pas trouver Barbebouq.
C'était ce que se disait la petite fille, alors qu'elle marchait à travers champs et que la nuit allait bientôt faire son apparition. La lueur pâle du soleil couchant donnait à la nature des teintes oranges qui devaient sans doute être magnifiques, mais la petite fille n'y prêtait aucune attention, trop occupée qu'elle était à tenter de retrouver son chemin : ce stupide village ne devait pas être loin, mais toute sa bonne volonté n'y faisait rien. Elle en était à espérer rencontrer une bonne âme, ce qui, quand on la connaissait, prouvait qu'elle avait épuisé toutes les autres alternatives.
Elle était mignonne, la blondinette, avec son pantalon noir et sa veste de même, par dessus une chemise blanche au col en dentelle. Sa chevelure soyeuse était ramenée en deux couettes, et ses grands yeux bleus lui donnaient un regard d'ange. Véritablement, la petite Lili, car c'est ainsi qu'on l'appelait, était mignonne, et paraissait bien inoffensive.
L'autre, par contre, le paraissait moins.
Une salopette bleue, des cheveux en bataille, le regard aviné et une énorme bedaine faisaient partie des principales particularités de l'homme qui venait de surgir devant la petite fille. Mais aucun de ces traits ne constituaient la première chose qu'elle vit de l'homme. La première chose que son regard croisa, ce fut la fourche qu'il pointait sur elle.
- Qu'esse tu fout là! Dis moi qu'esse tu fout là ou j't'embroche!
Le langage recherché de l'homme était au diapason de l'haleine fétide qu'il exhalait. Son regard fit (mais difficilement) le point sur celle qui lui faisait face, et un sourire édenté fendit alors son visage, qui était pourtant déjà bien assez terrifiant comme ça.
- Mais, t'es qu'une tite gosse ! – conclut-il finement. Il jeta un regard à la ronde, et poursuivit avec un ton cruel dans la voix – une tite fille toute seule à c'que j'voit... Viens voir tonton Tim, petiote. Tu va voir, on va bien s'amuser. Allez, viens...
Un peu de bave coulait le long de son menton alors qu'il zieutait la petite d'un air d'aliéné. Ce qui ne parut par effrayer celle-ci plus que ça, puisqu'elle s'approcha doucement de l'homme, qui ponctuait chacun de ses pas d'un « bien, bien » du plus mauvais augure.
Puis la fillette s'élança.
Il suffit d'un battement de cils : elle fut juste à côté de lui, la fourche qu'il tenait fermement une seconde plus tôt dans ses petites mains enfantines. Encore hébété3, l'homme reçut un coup de pied dans le thorax qui l'envoya au sol, plusieurs mètres plus loin. Un autre battement de cils : la blonde était maintenant debout sur son torse, et dardait sur lui 1/ sa fourche, et 2/ un regard homicide.

...

Quand Catelyn était entré dans la boulangerie-épicerie-poste-mairie-PMU, un seul coup d’œil avait suffit pour qu'elle sache à quoi s'attendre4. Une série de néons défaillants plongeaient dans l'ombre plus qu'ils n'éclairaient des lieux en état de délabrement avancé. Le patron, grand ,gros, et gras, lui jeta un regard peu amène et poussa un grognement. Catelyn désigna du doigt une bouteille derrière le bonhomme, couverte d'une crasse dont il ne valait mieux pas connaître l'origine. Elle plongea sont regard dans la substance vaguement ambrée que lui versa le tenancier avant d'en boire la totalité, cul-sec.
Bon, qu'est-ce qu'elle foutait, l'autre? La principale qualité de Catelyn n'étant certes pas la patience, il lui fallait trouver une occupation en attendant.
« Toi, t'es une étrangère! »
Quelqu'un venait de lui poser une main poisseuse sur l'épaule. La jeune femme se retourna lentement, un grondement sourd au fond de la gorge. Le spectacle n'était pas très beau à voir : un visage mou et triste, ravagé par le temps et l'alcool, un corps long, maigre, courbé et deux bras comme des enclumes composaient l'homme.
« J'aime pas les étrangères, moi – cracha-t-il. Il fit une pause qui se voulait sans doute dramatique, puis repris – Et mes potes non plus, ils aiment pas les étrangères. »
Des grognements d'acquiescement se firent entendre dans toute la salle, tandis que des chaises raclaient le sol.
-Vous, vous tombez bien! – gronda-t-elle. »
D'un regard, La femme fit le tour de ses adversaires – ils était douze – puis se tourna vers le barman.
Visiblement habitué de la chose, il avait sorti une batte de sous le comptoir. Catelyn la lui retira des mains d'un mouvement rapide. Il lui jeta le regard apeuré d'un hérisson face aux phares d'une voiture, puis plongea derrière son comptoir.
Elle soupesa son arme un instant, puis sourit à l'assemblée.
« Alors, qui commence? »

...

Le service de bus reliant le lycée des Capucines au reste de la région n'était pas des plus performants (pour la bonne raison qu'il n'y avait pas de service de bus desservant le lycée des Capucines), aussi Alice (yeux bleus, cheveux noirs corbeau, 16 ans, plutôt grande pour son âge et toutes ses dents) avait pris l'habitude de rentrer chez son oncle par ses propres moyens, c'est à dire avec les pieds de ses jambes. On ne peut pas dire que le défilé du paysage déjà décrit plus haut inspirait la poésie, tout juste incitait-il à la méditation intérieure (ou plus sûrement à des pensées morbides). Et en effet, Alice méditait. Elle méditait sur la vie, la mort, le destin et toutes ces choses, et surtout sur l'étrange malédiction qui l'avait fait naître à l'endroit le plus déprimant et dénué d'intérêt de France. Elle réfléchissait aussi au moyen le plus sûr et surtout le plus rapide de décamper.
Toute à ses pensées, Alice ne remarqua la camionnette l'ayant dépassée qu'au moment où elle s'arrêta, à quelques mètres d'elle, les phares allumés pointés vers le vide. Personne n'en sortit. Seul bruit aux alentours, le moteur de la voiture à l'arrêt continuait de tourner. Une crainte sourde, un sentiment de malaise fit s'arrêter Alice. Pourquoi la camionnette s'était-elle arrêtée là, juste devant elle? Et surtout, pourquoi son occupant n'en sortait pas? Elle tenta vainement de se rassurer : peut-être consultait-il une carte, peut-être se payait-il une pause? Peut-être, oui...
La pluie commença à tomber, doucement. Deux trois gouttes d'abord. Une ou deux minutes plus tard, elle s'intensifia un peu.
Et puis, si ça se trouvait, il n'y avait à l'intérieur de la camionnette qu'un vieil impotent, incapable de sortir de son véhicule sans l'aide d'une canne. Un vieux, oui. Petit. Gentil. Inoffensif.
Une silhouette s'extirpa enfin de la voiture, lentement. Il commençait à faire sombre, et Alice ne voyait devant elle qu'une ombre, très grande, très massive aussi, et le soleil couchant juste derrière. Si c'était là le petit vieux qu'elle s'imaginait, il devait être nourri aux anabolisants.
La silhouette se déplia interminablement, contre toute logique apparente, plus haute qu'il ne paraissait possible. Alice ne distinguait pas grand-chose de l'être qui lui faisait face mais, par quelque sens caché, quelque instinct de survie, elle fut saisie d'une peur soudaine autant qu'irrépressible. Un sentiment qui lui faisait se rappeler que, tient, elle avait oublié, mais elle avait un rendez-vous urgent loin, très loin. Le peu qu'elle voyait de la créature avait quelque chose de répugnant : deux yeux sans pupilles, comme morts, était plantés sur un visage d'une pâleur cadavér... D'une pâleur inquiétante.
Alice fit un pas en arrière, lentement. Un autre. Elle prit conscience d'un bruit de moteur pétaradant, celui d'un véhicule qui se rapprochait. Une autre bonne surprise? Elle se retourna.
Derrière elle, un homme brun, à la barbe et aux cheveux mal entretenus, de quarante ans, peut-être plus, campé sur une mobylette hors d'âge, dérapa sur la route humide pour s'arrêter à moins d'un mètre d'elle. La pluie ne semblait pas le déranger plus que ça, malgré la mèche mouillée qui lui tombait sur le front. Il braqua vers le monstre un vieux fusil, juste à côté de l'oreille d'Alice. Son doigt se crispa sur la détente.
Le bruit de la détonation assourdit Alice quelques instants. Elle vit le corps de la chose tressauter et tomber à terre, le ventre déchiqueté par la balle.
On lui tapota l'épaule. C'était le barbu, descendu de son engin pour lui proférer une suite de sons sans aucun sens. Elle agita la tête en signe d'incompréhension, avec un petit sourire niais et désolé. L'homme poussa un soupir, puis finit par la tirer par le bras.
Encore abasourdie, elle se laissa mener jusqu'à la vieille mobylette, au phare encore allumé.
Lorsqu'elle s'installa derrière l'inconnu, le son revint brusquement : le vrombissement du moteur pétaradant, le bruit de la pluie qui tombait maintenant en grosses gouttes, le souffle de sa respiration saccadée.
La mobylette roulait depuis quelques minutes déjà quand Alice prit conscience de ce qui s'était passé. Elle se pencha en avant et dit, d'une voix blanche :
- Vous l'avez tué.
La voix de l'inconnu lui parvint de devant :
- Mieux vaut lui que moi, ou toi. Et il n'est pas mort de toute façon, j'ai mal visé. Je n'ai touché aucun organe vital.
- Vous lui avez détruit l'estomac, les intestins et la moitié de la colonne vertébrale.
- C'est ça : aucun organe vital.
Quelques secondes passèrent dans le silence le plus total. La pluie tombait en rangs serrés maintenant. Alice était trempée, sans y prêter plus attention que ça.
- Qu'est-ce que vous appelez un organe vital?
- Pour cette chose? Le cœur, et encore ça dépend ; la tête, plus sûrement.
Alice frissonna, certainement pas à cause de la pluie.
- C'était quoi?
- Un monstre. Une horreur. Une aberration de la nature.
Un éclair zébra la nuit, suivi quelques secondes après d'un grondement sourd : ça posait son ambiance. L'homme rajouta :
- Un vampire, si tu préfères.
- Ah. Heureusement qu'on l'a semé, alors.
- C'est ça, heureusement. Au fait, si tu regardes bien tu distingueras la lueur de deux phares, juste derrière nous. A ton avis, qu'est-ce que c'est?
En effet, Alice pouvait remarquer au gré des virages et à travers le rideau de pluie deux lumières parallèles qui suivaient leur parcours.
- Il nous poursuit! - s'écria-t-elle à l'oreille du chauffeur.
- Applaudissons notre gagnante!

...

Quand une petite fille aux couettes blondes et au regard bleu azur entra au Colosse qui Pisse, personne ne réagit. A un bout de la salle, rassemblés autour d'une table pour quatre, une dizaine d'hommes maintenait les yeux baissés sur leur boisson (il ne s'agit pas ici d'une faute d'accord : il n'y avait à cette table qu'une seule et unique boisson) dans un silence tendu. La petite fille posa un regard étonné sur leurs visages tuméfiés. Au comptoir, le barman essuyait avec empressement un verre, en jetant de temps à autre un regard inquiet vers une table à laquelle était confortablement installée une rousse au regard vert, qui souriait innocemment en regardant de temps à autre en direction du groupe d'hommes.
Le visage de la petite fille s'éclaira et elle s'approcha de la rousse.
- Bah alors, t'étais où? -demanda Catelyn, l'air vaguement renfrogné.
- Perdue – s'excusa Lili. Un sourire rêveur aux lèvres, elle ajouta – et j'ai eu un léger contretemps. Toi aussi à ce que je vois.
- Tu ne vas pas me croire, mais pour une fois je n'y suis pour rien.
- C'est ce que tu dis à chaque fois...
Catelyn se leva et rejoignit sa consœur à l'entrée du bar, non sans avoir jeté un long regard à la salle et ses occupants.
- On y va – dit-elle finalement.

Ça avait dû être volontaire. Forcément. On n'avait pas pu bâtir une maison aussi effrayante par hasard. L'architecte avait dû regarder attentivement deux ou trois vieux films d'horreur gothiques expressionnistes et mixer tout ça pour obtenir ce résultat :
Une maison toute en hauteur, aux formes tarabiscotées, un assemblage de roches sombres et de fenêtres crasseuses dont les ouvriers, en la construisant, avaient sans doute fait avec les moyens du bord, c'est à dire sans angles droits. Le toit était constitué de tuiles d'ardoise bleu sombre dont plusieurs étaient tombées. Une mousse d'un vert maladif ainsi qu'un lierre grimpant donnaient une touche de nature à la bâtisse. Vu la tête du lierre et de la mousse, ce devait être une nature brutale, meurtrière et hostile au genre humain. Enfin, une cheminée montée de travers expulsait une fumée noire du plus mauvais augure.
- Et ben, c'est gai - fit Lili, qui contemplait la façade aux côtés de Catelyn.
Catelyn sonna, déclenchant un carillon qui s'arrêta brusquement dans un couac angoissant.
- Festif, je dirais – ajouta la rousse.
La porte s'ouvrit sur un vieillard parcheminé, courbé en avant, revêtu d'un manteau grisâtre, et qui sentait le vieux chien mouillé.
- Catelyn, je présume ?
Celle-ci hocha la tête, puis soupira :
- Vous savez, vous êtes tout à fait raccord avec l'ambiance de votre maison.
- Je sais – fit-il en souriant – Entrez, je vous en prie.
A la plus grande surprise de Catelyn et de Lili, l'intérieur de la maison n'incitait guère à hurler d'horreur, à moins d’être allergique aux poils de chien qui colonisaient en vainqueurs toute surface existante. Le vieil homme les invita à s'asseoir devant le feu de cheminée. Quelques minutes passèrent, où chacun laissa son regard se perdre dans les méandres du feu, puis Lili déclara, avec un art consommé pour mettre les pieds dans le plat :
- Alors comme ça, il y a du vampire dans le coin ?

Installée devant la cheminée, Catelyn plongeait ses yeux avec suspicion dans une boisson que le vieil homme venait de lui servir. Elle essayait de tenir le verre aussi éloigné d'elle que possible en espérant qu'il n'allait pas lui demander de tremper ses lèvres une nouvelle fois dans la mixture, sous prétexte de trinquer à nouveau. Elle se demandait avec une curiosité macabre quels types d'ingrédients répugnants avaient pu entrer dans la composition de ce qu'il fallait bien appeler la boisson, à défaut d'un autre terme. Elle essayait aussi d'évaluer le nombre de personnes qui pourraient mourir avec une seule goutte de la concoction versée dans une réserve d'eau, et s'il y avait des chances pour que la « boisson » explose en cas de mouvements brusques.
- Fabrication artisanale - expliqua le vieil homme.
- Ca, je n'en doute pas – murmura Catelyn, les yeux toujours fixés sur son verre, au cas où la mixture se mettrait tout à coup à prendre vie.
Leur hôte s'approcha de la fenêtre, un verre de son poison à la main, en prit une gorgée, puis se retourna vers ses invitées :
- Concernant notre affaire, j'ai la certitude, au vu du nombre de petits animaux, de chiens, puis dernièrement de chevaux trouvés exsangues, qu'au moins un vampire est arrivé dans les environs au cours de la semaine dernière. Votre contrat est simple : je veux que vous nous protégiez, moi et ma nièce, de la menace, le temps que nous quittions les lieux.
- Et les autres habitants ?
- A quoi bon vouloir sauver le village? Barbebouq est durablement infesté par l'engeance vampirique : quoi que l'on fasse, on ne l'en débarrassera pas. Plus maintenant. Et vous avez vu comme moi les spécimens d'idiots congénitaux dont nous parlons. Il faut être honnête, il n'y avait déjà pas grand-chose à sauver avant dans la populace de ce village, alors maintenant...
- A la bonne heure – répondit Lili, tout sourire – voilà une mission concise et précise, et une saine philosophie ! Alors, il est où ce contrat, qu'on le signe enfin?
Le vieil homme, tout en sirotant son verre, poursuivit :
- Avant tout, je voudrais que vous me promettiez si la chose est possible, de ne pas parler de ces démons à ma nièce. Elle est jeune, encore naïve, et je voudrais lui laisser, ne serait-ce qu'un instant, un peu de son innocence.
La porte s'ouvrit tout à coup en grand, alla cogner contre le chambranle, et deux silhouettes détrempées sortirent de l'obscurité : une jeune fille aux cheveux noirs et un homme à la barbe et aux cheveux mal entretenus5.
Alice se précipita vers le vieil homme :
- Mon oncle, on est poursuivis par un vampire!
Ce dernier se tourna vers ses hôtes, l'air un peu las :
- Bon, oubliez ce que je viens de dire.... Mesdames, voici ma nièce, Alice. Alice, je te présente Lili Belladone et Catelyn Mc Cluster, spécialistes en tératologie.

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1Ceux qui en étaient pourvus étant partis depuis longtemps déjà.
2Mais avaient tout intérêt à se taire s'ils voulaient garder la tête sur leurs épaules.
3Mais cela semblait être un état naturel et permanent chez lui.
4Le nom de l'estaminet, « Le colosse qui pisse », lui avait déjà mis la pisse, pardon, la puce à l'oreille.
5Aux lecteurs qui se demanderaient qui sont ces deux personnes, je recommanderai de remonter d'une page ou deux dans le présent récit ainsi que de s'entraîner un peu la mémoire.

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